« AIMER » – LE MONDE FESTIVAL 5, 6 et 7 octobre 2018.  Des personnalités de tous horizons racontent une chanson qui a marqué leur vie. La chanson d’amour de Christiane Taubira : « Cry Me a River », d’Ella Fitzgerald

Résultat de recherche d'images pour "Christiane Taubira images"A 66 ans, Christiane Taubira est en retrait de la vie politique. Sous la présidence de François Hollande, elle a mené la bataille du mariage pour tous à l’Assemblée nationale en 2012 comme garde des sceaux. Femme de lettres, ses discours sont toujours ponctués de citations littéraires ou philosophiques. Son dernier ouvrage « Baroque sarabande » (Philippe Rey, 173 p., 9,50 euros) revient sur les livres qui ont compté pour elle, de son enfance en Guyane, dont elle fut députée durant dix-neuf ans, jusqu’à aujourd’hui. Interrogée sur une chanson qui a marqué sa vie, Christiane Taubira a écrit le texte suivant.

Mordre la poussière… Se croire encore verticale, mettre un pied devant l’autre, parler haut, chanter clair, siffler toujours vigoureusement en pédalant, imputer au pollen qui vadrouille dans l’air cette boule dans la gorge et votre voix qui soudain casse au mitan d’une chanson. Accuser les papillons-cendre grégaires et désinvoltes de vous piquer les yeux comme le feraient des larmes, détraquer le dernier vers d’un poème qui pourtant vous a toujours fait cortège…

Voilà que, furtifs, les regards de vos amies faisant miroir à leur insu vous révèlent le tassement de vos épaules, léger mais bien arrondi ; elles n’osent rien dire de vos robes devenues amples et plus confortables. Ainsi vont mes embardées amoureuses. « C’est quand tu es ivre de chagrin que tu n’as plus du chagrin que le cristal. » René Char savait aimer. C’est bien à la brûlure du chagrin que l’on mesure l’incandescence d’un amour.

Un gouffre scintillant

Je ne pleure pas, je fonds. Je ne fléchis pas, je fonce, vers des défis, des urgences, des Cry Me a River (Digitally Remastered) by Ella Fitzgeraldombres et des ivresses, je suis bronze de Giacometti, fine et incurvée, granuleuse, le regard égaré, pas pour de vrai mais bronze tout de même, « l’alliage du sang fort qui gicle quand souffle le vent des marées saillantes ». C’est ce que croit Tchicaya U Tam’si.

Le vent déraille et le temps joue à la vierge folle. Pas de rédemption. Les souvenirs vous lacèrent en perforant vos ruses. Le silence, votre refuge. « Samba Pa Ti ». Santana. Premières notes, et l’éden s’ouvre comme un gouffre scintillant aux parois brinquebalantes. Pas un mot, version instrumentale. Mais ces amours-là sont encore trop melliflues. Il y manque la rugosité de l’impatience. Une impatience qui ne se livre qu’en gestes.

Dans la culture créole, les mots de tendresse, de passion, de désir sont trop pudiques, farouches, ils habitent les cavernes, ne remontent jamais jusqu’à la glotte. Parfois un air s’invite, les paroles restent souterraines, « Dance me through the panic till I’m gathered safely in, Dance me to the end of love… » [Dance Me to the End of Love, de Leonard Cohen] Les mots vacillent mais refusent de naître. Aimer trop, aimer mal… Et genou à terre, se croire encore verticale, « Cry me a river/ come on and cry me a river/ Told me love was too plebeian/ now come on, cry me a river »…[Cry me a River, d’Ella Fitzgerald] Un ciel existe et c’est vous qui en détenez la clé.

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Paroles de Cry Me A River

Ella Fitzgerald

Clap Hands Here Comes Charlie!
ALBUM

« AIMER » – LE MONDE FESTIVAL 5, 6 et 7 octobre 2018.  Des personnalités de tous horizons racontent une chanson qui a marqué leur vie. La chanson d’amour d’Isabelle Carré : « All is Full of Love », de Björk

Résultat de recherche d'images pour "Isabelle Carré"César de la meilleure actrice en 2003 pour son rôle dans Se souvenir des belles choses, de Zabou Breitman, Molière de la meilleure comédienne en 1999 et 2004, cette comédienne subtile a publié en janvier un premier roman remarqué, Les Rêveurs (Grasset). « L’actrice connue que personne ne connaît », comme elle se définit elle-même, y dévoile, à petites touches, son enfance particulière, entre une mère fragile et un père homosexuel.

Quand je pense à une chanson d’amour, c’est immédiatement All is Full of Love, de Björk, qui me vient à l’esprit. Peut-être parce qu’elle est sortie en 1999, qu’à cette époque j’étais seule, j’avais 28 ans, un âge où l’on est censé être en couple, où l’on commence à s’imaginer parent, bref, à construire sa vie !

Les paroles agissaient comme un baume, une consolation et m’aidaient à garder confiance. L’amour se trouve partout, disait la chanson, peut-être pas là où tu l’avais prévu, mais tu dois y croire ! La chanson avait raison. Quelques mois plus tard, je tombais amoureuse… « You’ll be given love/You have to trust it ! »

J’ai toujours aimé les gens singuliers, rencontrer des albatros de Baudelaire, qui ont des ailes trop grandes pour voler, comme Benoît Poelvoorde, ou qui dégagent une poésie immédiate sans même en avoir conscience, comme l’acteur Dominique Pinon, la chanteuse Izia… Björk est tout cela à la fois ! Voilà pourquoi je suis partie, ma chanson d’amour en tête, direction l’Islande, pour comprendre, et peut-être la croiser dans un bar de Reykjavik !

J’ai mangé des drôles de plats à base de poissons séchés, plongé dans le Blue Lagoon, observé les geysers et les glaciers, je me suis perdue sur la route qui mène à Vik i Myrdal, mais je n’ai pas croisé Björk…

Emerveillée

En arrivant à Jökulsarlon, un somptueux glacier se déversant dans la mer, j’ai découvert que le site était interdit, mais All is Full of Love, n’est-ce pas ? En bonne Française, je n’en ai pas tenu compte et j’ai franchi les barrières. Un tournage de James Bond était la cause de ce blocage. J’ai continué de marcher dans ce désert blanc, émerveillée, « Twist your head around/It’s all around you »… Jusqu’à ce qu’une quinzaine d’assistants et un hélicoptère se jettent sur moi : « Vous êtes dans le plan ! Partez ! Vous êtes dans le champ ! » Et voilà comment j’ai joué dans Meurs un autre jour, à cause d’une chanson. Après Ursula Andress, mais bien avant Léa Seydoux, je rejoignais – sans casting ! – le club très envié des James Bond Girls… Le petit point noir au milieu de ce paysage immaculé, c’était moi !

Jusqu’où une simple chanson peut vous emmener ! Surtout une chanson d’amour… Le garçon m’a quittée, ou c’est moi, je ne sais plus… Peu importe, on a vu du pays, love is « all around you », disait la chanson. C’était un joli tour !

Dernièrement, je suis allée en Argentine sur les traces de Benjamin Biolay. J’ai tenté d’apprendre le tango, j’ai médité dans les steppes de Patagonie : « Je t’aime et je crains de t’aimer/Encore longtemps, chiche/Que tu ne me laisseras pas tomber/Qu’on fera du hors-piste/Nus comme des vers/Sur les sentiers de l’apocalypse/Qu’on va mourir sans s’oublier, sans s’oublier », comme dans sa chanson Miss Miss.

Je suis devenue une Palermo queen. Et puis finalement, je suis retournée à Paris, parce qu’il le dit, dans cette chanson, « Todo es posible en Paris », aussi ! « Je serai ton Alexandri/Pourquoi pas ton magnolia pour toujours ». L’amour n’est pas que dans les chansons d’amour, « todos es posible all around, all around you…

RetroNews – Un panorama des révoltes d’esclaves sous le régime colonial – Par Marcel Dorigny 

Esclaves conduits par des marchands, estampe, Jean-Michel Moreau, circa 1780 – source : Gallica-Bibliothèque numérique de Lyon

Contrairement à la pensée populaire, les actes de rébellion des esclaves vis-à-vis de leurs oppresseurs européens n’ont jamais cessé jusqu’aux abolitions. En Haïti, au Brésil et dans toutes les Antilles, elles étaient même chose courante.

Marcel Dorigny est historien et spécialiste des études sur les mouvements antiesclavagistes et abolitionnistes. Il enseigne à Paris 8.

Dans son nouvel ouvrage paru aux Presses Universitaires de France (PUF), Les Abolitions de l’esclavage, il explore les différentes visages qu’ont pris les fins de l’esclavage selon les pays et colonies.

Avec son aimable autorisation, nous publions sur RetroNews le premier chapitre de ce brillant essai, consacré à la nature des nombreuses révoltes d’esclaves noirs ayant pris place aux Antilles et en Amérique du Sud.

Il est incontestable que la naissance puis l’essor des mouvements antiesclavagistes et abolitionnistes ont été le reflet du mouvement général des idées dans les sociétés des pays les plus « avancés » de l’Europe de l’Ouest au cours du XVIIIsiècle, où les idéaux de tolérance et d’affirmation des droits naturels de l’homme reposant sur la liberté et l’égalité en droit ont été un puissant moteur du processus qui a conduit à la condamnation de l’esclavage ; de même, la naissance de nouvelles théories de l’économie politique dans la seconde moitié du XVIIIe siècle a contribué à rendre l’esclavage de moins en moins indispensable au développement de l’économie nouvelle. Elle a même pu être un frein.

Pourtant, on ne saurait oublier que les colonies à esclaves ont été, durant toute la période, des sociétés hautement conflictuelles : les esclaves n’ont jamais accepté leur sort et ont multiplié les formes de rejet ; c’est ce qu’on appelle aujourd’hui les « résistances à l’esclavage ». Au cours du débat parlementaire sur les « lois Mackau », en avril 1845, alors que les tenants du maintien de l’esclavage dans les colonies osaient affirmer que les esclaves étaient « heureux » et que leur situation était meilleure que celle des prolétaires des mines ou des usines, l’un des dirigeants de la Société française pour l’abolition de l’esclavage (fondée en 1834), Agénor de Gasparin, répliqua vivement :

« Et voyez ces créatures heureuses ! On les vend au marché. Dans la Guadeloupe seule, en quinze ans, plus du tiers de la population esclave a été vendu, 38 000 esclaves sur 90 000. Les esclaves sont heureux !

Et ils s’enfuient, ils s’enfuient de tous côtés. Vous êtes obligés de doubler les garnisons ; en cinq ans, elles ont été portées de 5 000 hommes à 9 000. Vous doublez les garnisons, et les soldats français périssent par centaines et par milliers pour empêcher les évasions des Noirs, pour garder les portes de leur prison. Ils sont heureux ! Et vous êtes obligés d’écrire dans votre loi qu’il leur est interdit d’avoir des bateaux. Vous craignez donc qu’ils n’échappent à ce bonheur dont on nous parle tant ! »

Là était tout l’enjeu : pour conserver l’esclavage, il était indispensable d’entretenir une force de répression toujours plus forte, et plus coûteuse, car à mesure que la population servile augmentait, les formes du refus se multipliaient. Le récent précédent de Saint-Domingueétait un rappel constant du danger permanent d’une concentration toujours croissante de « non-libres ». C’était la conclusion que Victor Schœlcher avait tirée de son long séjour dans les colonies esclavagistes au début des années 1840 : pour éviter un soulèvement général incontrôlable, l’abolition immédiate de l’esclavage serait la seule solution. […]

Les refus de l’esclavage ont ainsi été une donnée constante des sociétés coloniales : le premier navire qui apporta des esclaves africains à Saint-Domingue (alors Hispaniola) y est arrivé en 1503, soit onze ans seulement après le premier débarquement de Christophe Colomb, et la première révolte d’esclaves connue date de 1506.

Sans entrer dans les détails de ces multiples formes de refus de l’esclavage, il importe d’en rappeler les plus courantes. Le refus du travail, ou le manque constant de zèle et d’ardeur à la tâche, a été une donnée permanente : seul le commandeur avec son fouet pouvait stimuler le travail. Cette obligation est toujours présente sur les images du travail dans les plantations, par exemple le célèbre saladier en faïence de Nevers conservé au musée du Nouveau Monde à La Rochelle, « Vive le beau travail des îles d’Amériques ! », où l’on voit un groupe de femmes, pioche en mains, ainsi qu’un commandeur et son fouet au bout du rang… Ce travail sous la contrainte permanente a été à l’origine d’une des critiques des économistes libéraux, qui y voyaient une preuve de l’archaïsme du travail servile, incompatible avec la division du travail et la mécanisation en cours au XIXe siècle.

Une autre constante a été le recours aux empoisonnements des bestiaux des maîtres ou des maîtres eux-mêmes : la totalité des tâches domestiques étant assurée par des esclaves, dits « de maison », la vengeance ou le refus de sa condition pouvaient se traduire par l’utilisation de plantes diverses donnant la mort ; ce recours aux poisons a été une crainte permanente des maîtres et de leurs familles, devenant une véritable psychose à certaines périodes de tension plus grande sur les plantations, parfois purement imaginaire et se traduisant par des châtiments extrêmes sur des esclaves suspectés d’avoir mis du poison dans les aliments ou dans l’eau du puits. Réelle ou purement fantasmée, la peur obsessionnelle de l’empoisonnement, fondée en partie sur l’idée que les Noirs connaissaient les pouvoirs des plantes et pratiquaient la magie, est révélatrice de la tension permanente qui régnait sur les plantations. Sur ce point, la littérature est un miroir qu’il ne faut pas perdre de vue.

L’assassinat du maître ou de ses fidèles collaborateurs ne doit pas être omis. Si cette forme de vengeance individuelle n’était certes pas une remise en cause explicite et consciente de l’esclavage, elle n’en était pas moins le résultat d’une oppression devenue insupportable ; ici, il faut citer la fameuse phrase de Diderot :

« Celui qui justifie un tel système mérite du philosophe un profond mépris et du Nègre un coup de poignard. »

Une autre forme de rejet de l’esclavage a été de la part des femmes le refus de l’enfantement. En vertu des normes juridiques, le Code noir français par exemple, le statut juridique de l’enfant était celui de la mère, sans tenir compte de celui du père : si le père était libre, voire le maître de la femme, l’enfant n’en était pas moins esclave dès sa naissance. Cette règle intangible du monde de la société esclavagiste amenait un grand nombre de femmes à refuser de donner naissance à des esclaves : avortements par diverses méthodes et infanticides ont été très fréquents ; les sources judiciaires en témoignent, car la femme coupable de ces pratiques interdites par la loi et par l’Église était le plus souvent condamnée à mort.

Le suicide au cours de la traversée a été l’une des formes de refus de l’esclavage particulièrement redoutée des capitaines négriers : l’esclave qui se jetait à la mer à l’occasion des remontées quotidiennes sur le pont était à la fois une perte financière et un terrible exemple pour les autres captifs. C’était un moment redouté par l’ensemble de l’équipage.

Un autre aspect du refus de l’esclavage à bord des navires négriers au cours de l’épouvantable traversée – le « passage du milieu », selon la formule aujourd’hui répandue – a été les nombreuses révoltes. Ces révoltes sur les navires n’avaient que peu de chances de libérer les captifs, pour la plupart totalement étrangers aux techniques de la navigation en haute mer. Pourtant, elles témoignent du désespoir de ceux qui avaient été vendus et transportés vers l’inconnu. C’étaient en quelque sorte des résistances avant l’entrée en esclavage…

La fuite hors des plantations, ou « marronnage », a été l’un des thèmes récurrents du monde colonial : règlements, législations répressives, utilisation de milices locales, exécutions spectaculaires des « grands coupables », correspondances entre colons, textes littéraires abondent en récits de ces fuites d’esclaves qui menaçaient les plantations par des incursions nocturnes et étaient autant de pertes pour les propriétaires. Les nombreuses annonces publiées dans les journaux des colonies nous renseignent souvent avec beaucoup de détails sur ces fuites d’esclaves ; le dépouillement de ces milliers d’avis de recherche de fugitifs a déjà apporté une meilleure connaissance de cette pratique endémique, mais il reste à compléter.

Esclave moresse, estampe, circa 1830 – source : Gallica-BnF

La fuite pouvait être brève, allant de quelques jours à un ou deux mois ; mais la forme la plus menaçante pour le monde colonial était ce que les sources ont appelé le « grand marronnage », même si cette classification peut être contestée aujourd’hui. Les fugitifs se réfugiaient dans des zones d’accès difficile pour les forces de répression, même lorsqu’elles avaient recours à ces « chiens chasseurs d’esclaves » tant redoutés pour leur férocité. Les hautes montagnes, les marais, les mornes ont été les zones de refuge les plus fréquentées. En Jamaïque, les montagnes Bleues, au centre de l’île, ont été transformées par les fugitifs en véritables « camps retranchés » que les troupes anglaises n’ont jamais pu reconquérir pendant plus d’un siècle. Elles sont aujourd’hui érigées en lieux de mémoire exceptionnels du marronnage. Une « république de marrons » a même été fondée à partir de 1730 : la guerre que les Anglais ont menée contre ces marrons a échoué, et en 1739, un traité entre le gouverneur Trelawnay et le chef des insurgés Cudjo entérinait l’autonomie de cette véritable enclave au sein de la colonie ; mais l’une des clauses de l’accord imposait aux marrons de livrer aux Anglais les nouveaux arrivants… Au Surinam hollandais, il en fut de même : l’immensité de la forêt équatoriale rendait impossible la lutte contre les fugitifs et des compromis furent passés, laissant une large autonomie aux marrons ; en Guyane française, le même phénomène s’est produit et, aujourd’hui encore, leurs descendants occupent le même espace.

À Saint-Domingue, au milieu du XVIIIe siècle, ce grand marronnage a été mené par Makandal, dans le nord de l’île, qui sema la terreur sur les plantations et à qui la tradition attribuait des pouvoirs magiques d’origines africaines.

Ce fut surtout au Brésil que le phénomène prit son ampleur maximale : les fugitifs se réfugiaient au cœur de la forêt équatoriale, hors de portée des troupes portugaises. Là, de vastes zones passaient sous leur contrôle, devenant des quasi-États autonomes, les quilombos, aujourd’hui socles de la mémoire de l’esclavage et des luttes pour son abolition au Brésil.

Les formes extrêmes de la résistance à l’esclavage ont bien sûr été les révoltes et les insurrections, dont une cartographie laisse peu d’espaces vides : de plantation en plantation et d’île en île, il y eut bien peu de périodes calmes dans l’univers de l’esclavage colonial. L’historien et homme politique martiniquais Édouard Delépine a parfaitement résumé cet état de fait, trop longtemps minimisé ou négligé par les recherches historiques des années 1960 à 1990 :

« Les planteurs antillais ont rarement dormi sur leurs deux oreilles. […] L’histoire de l’esclavage avait été ponctuée d’actes de rébellion et de révoltes plus ou moins violentes, notamment depuis la révolution haïtienne. »

Malgré leur fréquence et leur intensité, toutes ces insurrections ont été vaincues, réprimées, et leurs instigateurs et acteurs impitoyablement massacrés ou jugés de façon expéditive. Makandal à Saint-Domingue ou Nat Turner en Virginie, de même Boukman à Saint- Domingue, en 1791, sont restés dans les mémoires comme des figures mythiques, incarnations du héros libérateur, mais finalement vaincu.

Enfin, ce que l’on appelle aujourd’hui les « résistances culturelles » reflète en profondeur le refus des populations déportées par la traite, mais aussi les générations suivantes, d’adopter pleinement les valeurs imposées par l’ordre colonial. Dès son arrivée sur les plantations, l’esclave devait changer d’identité. Baptisé, il devait rompre avec sa religion. Doté d’un nouveau nom, il devait oublier le sien, ainsi que sa langue ; enfin, musiques et danses d’Afrique lui étaient interdites, étant considérées comme superstitions, voire prétextes à com- plots. L’esclave était déculturé, dépouillé de sa vie intérieure, contraint de se plier aux nouvelles normes imposées par celui qui avait acheté sa force de travail et la totalité de sa personne. En réalité, cette acculturation imposée n’a jamais été totale : sous de multiples formes, les cultures africaines ont survécu et se sont transformées en intégrant des éléments chrétiens, voire musulmans ; les musiques et les danses se sont perpétuées, souvent clandestinement, de même que les pratiques médicinales à base de plantes. La formation des langues créoles elles-mêmes a été l’une des traductions du refus d’assimiler l’identité des maîtres, et un moyen de communiquer sans être compris de ces derniers. Ces formes immatérielles du refus par l’esclave de son statut de déraciné par la force ont perduré dans bon nombre de sociétés issues de l’esclavage, à Cuba, en Haïti, au Brésil, en Jamaïque.

Ce tableau est bien incomplet, mais le rappel de cette composante majeure du processus de refus de l’esclavage, ancré au plus profond des êtres humains transformés en « biens meubles », est indispensable pour prendre la mesure du long processus de destruction de l’esclavage. Le mouvement abolitionniste né dans les métropoles coloniales au cours du XVIIIe siècle ne pouvait ignorer ces multiples formes de résistances, consubstantielles à un esclavage mis en place sous la forme d’une déportation d’êtres humains arrachés à leurs sociétés et reposant exclusivement sur un critère racial : l’esclave déporté vers les colonies est toujours Africain. Cette racialisation est un phénomène unique dans la longue histoire de l’esclavage.

Aucune des insurrections d’esclaves n’a pu détruire l’esclavage, hormis celle de Saint-Domingue entre 1791 et 1803, qui d’abord imposa l’abolition puis l’indépendance ; mais il n’en demeure pas moins essentiel d’en rappeler l’importance, la durée et le rôle dans l’affirmation des identités africaines au sein des colonies des Nouveaux Mondes.

*Les Abolitions de l’esclavage est publié aux Presses Universitaires de France (PUF).

ESCLAVAGE
RÉVOLTE
COLONIALISME
ANTILLES

LA FRANCE PITTORESQUE -20 août 1153 : mort de saint Bernard de Clairvaux, promoteur de l’ordre cistercien (D’après « La Semaine des familles » paru en 1875, « Annuaire administratif et statistique du département de l’Aube » paru en 1839 et « Biographie universelle, ancienne et moderne » (Tome 4) paru en 1811)

Fondateur de l’abbaye de Clairvaux, laissant 160 monastères dans diverses contrées de l’Europe et de l’Asie, saint Bernard, dont l’intelligence allait droit au coeur des doctrines et des choses, exerça sur ses contemporains une influence étendue et profonde, et fut un important promoteur de l’ordre de Cîteaux

Bernard de Clairvaux naquit en 1090 ou 1091 au château de Fontaine-lès-Dijon (anciennement Fontaine) bâti sur les hauteurs du village par son père, gentilhomme distingué de la province, qui s’appelait Tescelin le Roux (Tescelin Sorrel) et était issu de la maison des comtes de Châtillon ; sa mère, femme d’une haute piété et d’un rare mérite, se nommait Alèthe et était issue de la maison de Montbard.

L’enfant sur la vie duquel la providence se proposait pour ainsi dire de semer des merveilles, manifesta de bonne heure, avec une piété fervente, les dispositions les plus heureuses du cœur et de l’esprit. De bonne heure aussi la beauté de ses traits, le charme de son regard, de sa voix, de son sourire, ravirent l’affection de tous ceux qui approchaient de lui.

Au sortir du bas âge, il fut envoyé pour étudier les lettres sacrées et profanes à Châtillon-sur-Seine, où de savants ecclésiastiques tenaient alors les plus célèbres écoles de la province. Ses progrès dans la science furent rapides, ses succès furent éclatants. Quoiqu’il ait écrit plus tard que les rochers et les arbres du désert avaient été ses seuls maîtres, on ne peut douter que son séjour à Châtillon, jusqu’à l’âge de 19 ans, n’ait singulièrement contribué à développer et à perfectionner le génie dont l’avait doué la nature.

Bernard de Clairvaux. Gravure (colorisée) de 1584Bernard de Clairvaux. Gravure (colorisée) de 1584

Il était revenu au château de Fontaine après avoir terminé ses études. Sa naissance, le crédit de sa famille et son propre mérite lui donnaient le droit de prétendre aux emplois les plus honorables. Mais les saintes et profondes instructions de sa mère qui l’aimait tendrement, et qui lui avait plus particulièrement consacré les dernières années de sa vie, la mort de cette digne femme que tous les biographes s’accordent à parer des plus nobles vertus, fixèrent pour jamais sa destinée ; il forma la résolution de se retirer du monde.

Bernard avait cinq frères : Guy, Gérard, André, Barthélemy et Nivard ; il pensa à les emmener tous avec lui dans le cloître, à l’exception de Nivard, trop jeune encore pour l’associer à ses desseins. L’entreprise était difficile ; Guy était engagé dans les liens du mariage ; Gérard servait son prince dans les armées, et avait acquis une grande renommée par sa bravoure ; André avait aussi fait ses premières armes avec distinction, et Barthélemy se livrait avec ardeur aux exercices qui ouvraient la carrière militaire aux jeunes courages.

L’habileté de Bernard, sa parole éloquente, ses prophéties même, disent les historiens, triomphèrent de tous les obstacles. Après de longues négociations et des efforts inouïs, il fut maître de la volonté de ses frères et de celle d’une trentaine de gentilshommes avec lesquels la conformité d’inclination, d’âge et d’études l’avait lié depuis longtemps.

Au jour fixé pour le départ, une triste scène devait se passer dans le château de Fontaine. Les cinq frères avaient à prendre congé de leur père et à lui dire le dernier, l’éternel adieu. Tescelin commençait à ressentir les infirmités de la vieillesse. Il avait pénétré les projets de Bernard et fermé les yeux sur ses démarches, parce qu’il lui répugnait de penser que cinq fils, l’espoir de sa maison, la gloire de son nom, la consolation et l’appui de ses vieux ans, consommeraient tous leur sacrifice, seraient perdus pour lui dans un seul jour, et le délaisseraient pour jamais avec Humbéline, sa fille, et Nivard, encore enfant.

Lorsqu’ils se présentèrent dans sa chambre, ce bon père était assis auprès du feu, il les vit entrer et les comprit. Ses bras s’étendirent vers eux, sa bouche s’ouvrit pour parler, mais elle demeura muette, ses yeux se troublèrent, il défaillit. Cependant Humbéline arriva, et comme sa douleur était plus impatiente ou plus ferme, elle s’emporta en plaintes animées contre Bernard, qu’elle regardait à juste titre comme l’auteur de cette sainte conspiration. Quand elle se fut calmée et eut donné un libre cours à ses larmes, quand de tendres soins et de pieux discours eurent rendu un peu de courage au malheureux vieillard, les cinq frères qui portaient gravées dans leur cœur ces paroles du Christ : « Je suis venu pour séparer le fils du père, celui qui me préfère son père n’est pas digne de moi », s’empressèrent de franchir le seuil de leur demeure.

En passant sur la place, ils trouvèrent Nivard qui jouait et s’ébattait selon son âge ; ils l’embrassèrent, et Guy lui dit : « Adieu, nous te laissons maître de tous les biens de la maison. — Vous prenez donc pour vous le ciel, et vous me laissez la terre, répartit l’enfant : ma part ne vaut pas la vôtre. » Après cette réponse, que les entretiens ordinaires du foyer paternel expliquent facilement, il les suivit pendant quelque temps des yeux, et se remit à jouer comme auparavant.

Les fils de Tescelin se rendirent d’abord à Châtillon, où les attendaient leurs compagnons, décidés comme eux à marcher dans les rudes sentiers de la vie monastique. Tous réunis au nombre de trente, ils vinrent se jeter aux pieds d’Étienne, abbé de Cîteaux, le conjurant de les admettre au nombre de ses religieux (1113). Étienne les accueillit avec joie, et le grand exemple donné, par saint Bernard, trouvant de nombreux imitateurs, en moins de deux ans l’étroite enceinte du couvent ne pouvait plus suffire à la foule des nouveaux disciples qui arrivaient de toute part.

Cependant les peuples de Langres qui n’étaient pas restés étrangers aux destinées de Cîteaux, parce que les trois hommes les plus éminents de la maison, Robert, Albéric et Étienne, l’abbé actuel, avaient vécu au milieu d’eux, s’adressèrent à ce dernier, le pressèrent de leur envoyer quelques moines de l’ordre pour choisir dans le diocèse un lieu favorable, et pour s’y établir. Étienne prit à cœur cette demande, il la discuta dans le sein de la communauté, mais il trouva les avis partagés. Toutefois il désigna Bernard, plusieurs de ses frères et de ses anciens amis, parce que tous avaient traversé avec un zèle admirable les épreuves du noviciat et étaient devenus depuis leurs vœux un objet d’édification, même pour les plus anciens religieux.

Ce fut un touchant spectacle que celui du départ de la nouvelle colonie. Les portes de l’abbaye s’ouvrirent, et l’on vit sortir, la croix en tête et sous la conduite d’Étienne, les envoyés qui, au nombre de douze, allaient présenter aux fidèles d’une autre contrée l’exemple de leur foi vive et de leur austère pénitence. Derrière eux venait tout le reste du couvent, rangé sur deux files et chantant les versets des saints psaumes. Quand on fut arrivé à l’endroit marqué pour la séparation, les voix se turent, et les larmes, contenues jusque là, commencèrent à couler. Étienne, s’approchant de Bernard, lui conféra les pouvoirs et le titre d’Abbé, l’embrassa avec effusion, le recommanda à Dieu, lui et les siens ; puis, l’ayant engagé à continuer sa route, revint à l’abbaye, suivi de ses moines affligés, mais silencieux.

L'ancienne abbaye de Clairvaux. Estampe du XVIIe siècle

L’ancienne abbaye de Clairvaux. Estampe du XVIIe siècle

La petite troupe de fidèles s’avança vers les confins de la Bourgogne et de la Champagne, vivant des provisions emportées du monastère et des aumônes recueillies sur le bord des chemins. En voyant passer ces douze hommes grossièrement vêtus, simples et tendant humblement la main pour recevoir les offrandes de la piété publique, qui eût dit que là était saint Bernard et son génie ; saint Bernard, le dernier des Pères de l’Eglise, le confident, le conseiller des papes et des rois, leur maître au besoin ; saint Bernard, dont la voix devait animer les masses européennes, les ébranler et les pousser vers l’Orient avec le généreux dessein d’y arborer la croix de Jésus-Christ.

Arrivés à égale distance à peu près des villes de Bar-sur-Aube et de Chaumont, ils errèrent pendant quelques jours, au gré de la providence divine, dans une vaste forêt traversée par l’Aube : enfin un site particulier les arrêta. Sur la gauche d’un vallon qu’arrose la rivière, était une gorge profonde, étroite, sinueuse, ouverte aux vents les plus froids, boisée dans toute son étendue, humide et fangeuse, parce que les sources qui y prennent naissance n’avaient pas d’écoulement facile, presque inaccessible aux rayons du soleil, bordée de rochers comme un précipice, propre en un mot à servir de repaire aux brigands ou aux bêtes féroces.

On l’appelait dans la contrée la vallée d’Absinthe, soit qu’une plante de ce nom y fût commune, soit plutôt que les vols et les meurtres dont elle était fréquemment le théâtre lui eussent acquis une funeste célébrité. Nos moines songèrent à se fixer au centre de cette, affreuse solitude. Ils considérèrent que la propriété leur en serait facilement accordée, puisque les habitants du voisinage n’en tiraient aucun parti. Quant à l’aspect sauvage du lieu, saint Benoît, leur maître, n’avait-il pas habité pendant longtemps une caverne ténébreuse où le hasard l’avait fait découvrir par des bergers ?

Bernard ordonna donc d’abattre quelques arbres, de déblayer le terrain, de construire quelques cellules, d’édifier une petite chapelle, comme avait fait Robert à Cîteaux. Ainsi fut fondé le monastère qui devait dans la suite rivaliser avec sa métropole, et se subdiviser en une multitude de maisons religieuses, tant en France qu’en Allemagne, en Espagne et en Italie.

La vie humble et mortifiée des nouveaux apôtres gagna bientôt les cœurs des habitants des contrées voisines, qui-vinrent les aider à défricher le terrain et à bâtir leurs cellules. Pendant quelque temps, ils excitèrent la sympathie, et chacun venait à l’envi les servir ; puis, comme il arrive d’ordinaire, la charité se lassa, les secours qui avaient abondé cessèrent ; Bernard et ses compagnons, occupés à bâtir leur monastère, ne trouvaient pas le temps de cultiver la terre ou de gagner leur subsistance au dehors.

Aussi eurent-ils bientôt à souffrir les horreurs de la famine. Pendant tout un hiver, les religieux durent se contenter de quelque peu d’orge et de millet dont ils faisaient du pain avec des feuilles de hêtre cuites dans l’eau. Le découragement gagna les moines, et Bernard lui-même était plongé dans une profonde tristesse jusqu’au jour où il plut à Dieu de manifester par un miracle la sollicitude qu’il portait à la communauté naissante. Un jour que Bernard était prosterné devant l’autel, demandant humblement le pain quotidien, une forte voix se fit entendre aux oreilles de tous les frères : « Lève-toi, Bernard, ta prière est exaucée. » Et en même temps deux hommes inconnus vinrent déposer à la porte du monastère des offrandes considérables. D’autres âmes charitables envoyèrent des provisions et pourvurent à leurs besoins, jusqu’à ce que le terrain cultivé pût produire des ressources régulières.

À l’abri du besoin matériel, les saints religieux purent désormais se livrer à leur-attrait pour la vie surnaturelle à laquelle ils s’étaient voués. Tout dans la discipline de Clairvaux était capable de développer en eux le sens divin : un travail calme et soutenu, un perpétuel silence, le recueillement de l’oraison, l’éloignement de toute dissipation, de tout objet capable d’exciter l’imagination ou les sens, une obéissance ponctuelle, la pauvreté la plus absolue.

Écoutons plutôt un témoin oculaire : « Dès que l’on descendait de la montagne et qu’on entrait à Clairvaux, nous dit le bienheureux Guillaume, abbé de Saint-Thierry, on reconnaissait Dieu de toutes parts ; et la vallée muette publiait, par la simplicité et l’humilité des bâtiments, l’humilité et la simplicité de ceux qui les habitaient. Enfin, on pénétrait dans ces lieux si remplis d’hommes et où personne n’était oisif, tous travaillaient et s’appliquaient à quelque ouvrage. On trouvait au milieu du jour un silence semblable à celui de la nuit, interrompu seulement par les travaux manuels et les voix qui chantaient les louanges de Dieu…

« Bien qu’ils fussent en grand nombre, ils ne laissaient pas d’être tous solitaires, car, tandis qu’un seul homme, quand il est dans le trouble et le dérèglement, contient en lui-même une troupe, bruyante, ici, au contraire, par l’unité et le calme de l’esprit, tous ensemble possèdent la solitude du cœur. Telle était cette illustre école de sagesse chrétienne sous la conduite de l’abbé Bernard. Telle était la ferveur et la sainte discipline de sa très chère et très claire vallée. »

Il faudrait un livre spécial pour relater l’histoire de cette admirable réunion d’hommes illustres qui, à l’exemple de saint Bernard, avaient sacrifié famille, honneurs et richesses, pour venir chercher Dieu dans la solitude de Clairvaux. Bornons-nous à citer les principaux. Les premiers prosélytes du saint abbé furent les membres de sa famille ; il avait dès l’origine entraîné tous ses frères ; un grand nombre d\évêques, de cardinaux, un pape, Eugène III, furent moines à Clairvaux.

Des hommes illustres, attirés par la curiosité à l’abbaye, y furent touchés de la grâce de Dieu et demandèrent comme une grâce d’être admis parmi les religieux. Le prince Henri, fils du roi Louis le Gros, étant venu faire une visite à saint Bernard, résolut subitement de rester au monastère ; il congédia sa suite, et, malgré les nombreuses épreuves qu’on lui imposa pour exercer sa vocation, il persévéra et devint un des plus humbles moines de Clairvaux.

Saint Bernard prêchant la deuxième croisade lors de l'assemblée de Vézelay, le jour de Pâques 1146. Chromolithographie de 1890

Saint Bernard prêchant la deuxième croisade lors de l’assemblée de Vézelay,
le jour de Pâques 1146. Chromolithographie de 1890

Pierre de Portugal, envoyé par le roi son père, vint remercier Bernard de la délivrance de sa. patrie pour la conquête, qui avait été faite sur les Maures, d’une forteresse importante avec l’aide des croisés ; le prince rapporta de sa visite à Clairvaux des désirs célestes ; dix ans après, foulant aux pieds toute gloire humaine, il renonça au monde, et fit ses vœux monastiques. Guinard, roi de Sardaigne, venu par curiosité à l’abbaye, résistait aux exhortations de Bernard et aux sollicitations pressantes qu’il lui faisait de se convertir ; celui-ci lui prédit qu’il reviendrait un jour. En effet, cédant enfin à la grâce, après de longues hésitations, il laissa à son fils son sceptre, sa couronne, et retourna à la paix du cloître, déclarant que « le ciel lui semblait plus désirable que l’île de Sardaigne. » Ajoutons à ces glorieuses conquêtes celle d’Amédée, jeune prince d’Allemagne, et proche parent de l’empereur.

« C’est ainsi que ces âmes généreuses, dit Bossuet, « accoutumées au commandement et au tumulte des armes, ne dédaignaient ni le silence, ni la bassesse, ni l’oisiveté de Clairvaux si saintement occupée. Ils recommençaient les plus beaux combats, où la mort même donne la victoire. » (Bossuet, Panégyrique de saint Bernard) Les novices abondèrent tellement, qu’on dut agrandir le couvent et faire de nouvelles fondations. Clairvaux fut honoré, du vivant de saint Bernard, de la visite de deux papes : Innocent II, que le saint abbé avait contribué à replacer sur le trône de saint Pierre, et Eugène III, dont la présence au milieu de ses anciens confrères causa autant d’édification que de joie.

Saint Malachie, évoque d’Irlande, vint aussi au monastère ; ravi des scènes angéliques de Clairvaux, il s’écriait comme la reine de Saba : « Ce que je vois de mes yeux dépasse tout ce qu’on m’avait rapporté de la sainteté de ce monastère. Heureux ceux qui sont à vous, heureux vos enfants qui jouissent toujours de votre présence et qui entendent les paroles de sagesse qui sortent de votre bouche ! » Il voulait rester à Clairvaux, saint Bernard l’engagea à continuer ses travaux apostoliques ; mais plus tard il revint à l’abbaye, y mourut et y fut enterré. Et ceux qui ne venaient pas visiter eux-mêmes ce qu’un pape appelait « la merveille du monde », témoignaient assez, par leurs paroles et leurs actes, de la haute estime qu’ils portaient aux moines de Clairvaux et de la confiance qu’ils avaient en leurs prières.

Cependant Bernard était souvent contraint de s’éloigner de sa chère solitude ; tant de travaux et de soins divers le sollicitaient au dehors ! Peu de siècles subirent autant d’agitations de tous genres que le XIIe siècle, et l’abbé de Clairvaux se trouva non seulement mêlé à tous les événements, mais l’influence qu’il exerça sur eux est immense. Les rois et les papes le prennent pour arbitre, de leurs différends : Innocent II et Anaclet se disputaient la tiare, c’est lui qui mit fin au schisme en reconnaissant dans Innocent le véritable successeur de saint Pierre. Il combat les erreurs d’Abailard, de Pierre de Brescia, de Gilbert de la Porée, etc. Les conciles de Troyes, de Reims, de Pise, de Trêves, l’appellent tour à tour.

Aux environs de Noël 1145, Louis VII voulut se croiser ; Bernard l’en pressait. Suger, au contraire, fit tous ses efforts pour le détourner d’un voyage où il y avait tout à craindre et rien à espérer. L’estime que le roi avait conçue pour ces deux grands hommes, balança quelque temps sa résolution ; tous deux, en effet, étaient recommandables par un rare mérite, quoique d’un genre différent ; le premier, moins encore par le brillant de l’esprit que par une grande réputation de sainteté, s’était attiré une considération personnelle, bien au-dessus de l’autorité même ; le second, par un génie supérieur, soutenu par une vaste capacité et une probité reconnue, s’était acquis dans le public et dans le cœur du roi une confiance qui les honorait l’un et l’autre ; l’abbé de Clairvaux, avec l’air et l’enthousiasme d’un prophète, en avait toute l’inflexibilité ; l’abbé de Saint-Denis, avec plus de connaissance du monde, était plus retenu, plus insinuant, mieux fait pour tenir le gouvernail de l’État. L’un et l’autre agissaient par de nobles vues ; Bernard ne songeait qu’aux intérêts de la religion. Suger cherchait à concilier le bien de la religion et celui de l’État ; mais il ne fut point écouté ; le prophète l’emporta sur le politique ; le roi se croisa en 1146.

Un bruit se répandit que l’abbé de Clairvaux avait des révélations, et faisait des miracles ; un de ses disciples publia, dans un écrit, qu’à sa parole, les aveugles avaient vu, les boiteux avaient marché, et les malades avaient été guéris. Toute la France fut convaincue que le ciel ordonnait la croisade, et si fort prévenue que le succès de cette expédition dépendait du saint homme, que, dans une assemblée tenue la même année à Chartres, on lui offrit le commandement général de l’armée ; mais l’exemple de Pierre l’ermite était trop récent pour être suivi. Bernard refusa donc un emploi qui ne convenait point à un homme de son état.

Le mauvais succès de la croisade achevée en 1149 excita de violentes réclamations contre celui qu’on en regardait généralement comme l’auteur. Il se crut obligé de publier son apologie, dans laquelle il rejeta ce mauvais succès sur ses véritables causes. Au milieu des agitations que lui causèrent tant de voyages, de missions et de contradictions, il se plaignait souvent de la vie mondaine qu’il menait malgré lui. « Je ne sais plus, disait-il, ce que je suis ; je ne vis ni en religieux ni en mondain. » Résolu de mettre un terme à cette dissipation, il rentra dans son abbaye de Clairvaux : il avait en effet hâte de revenir partager les travaux de ses frères. C’est avec une grande joie qu’il retourna à sa chère vallée, où il se livra jusqu’à la fin de sa vie à l’étude des livres saints, et aux exercices de la plus rigoureuse pénitence.

Les souvenirs de sa vie angélique, les exemples et les enseignements qu’il y donnait à ses disciples, ont traversé les siècles et nous instruisent encore. C’est de Clairvaux qu’il fait entendre à ses religieux la sublime explication du Cantique des cantiques, dont le résumé incomplet passe à juste titre pour son chef-d’œuvre. Il y parle cette langue universelle de l’amour, « qui n’est comprise que par ceux qui aiment. » C’est là encore qu’il compose son traité de la Grâce et du libre Arbitre ; le livre des Considérations, de nombreux écrits sur la sainte Vierge.

C’est là qu’il nous donne le modèle de la douleur chrétienne, quand, à l’occasion de la mort de son frère Gérard, il exhale ses douloureux et tendres regrets dans un discours à jamais célèbre… « Sortez, sortez mes larmes, si désireuses de couler ! Celui qui vous retenait n’est plus là… Ce n’est pas lui qui est mort, c’est moi qui ne vis plus que pour mourir… Pourquoi, pourquoi nous sommes-nous aimés ? Pourquoi nous sommes-nous perdus ?… Non, je ne murmure pas contre les jugements de Dieu. Il rend à chacun selon ses oeuvres, à Gérard la couronne qu’il a conquise, à moi, la peine qui m’était salutaire… »

C’est encore du sein de cette pieuse vallée que, jaloux de la gloire de tous les ordres religieux, il lance de sévères avertissements aux abbayes de Saint-Denis et de Cluny, tombées dans le relâchement.

La dernière fois que Bernard s’éloigna de Clairvaux, ce fut à la demande de l’archevêque de Trêves, pour pacifier la ville de Metz : « La commune et les seigneurs, depuis longtemps en hostilité, se livraient une guerre acharnée ; en vain avait-on tenté un accommodement, la fureur étant égale de part et d’autre ; les armées étaient en vue et rangées en bataille quand Bernard se présenta au milieu des combattants. Il parle, il prie, il conjure qu’on épargne le sang chrétien et le prix du sang de Jésus-Christ. Ces âmes de fer se laissent fléchir, les ennemis deviennent des frères, tous détestent leur aveugle fureur, et d’un commun accord ils vénèrent l’auteur d’un si grand miracle. » (Bossuet, Panégyrique de saint Bernard)

Bernard de Clairvaux. Gravure de Cornelis Vermeulen (1644-1708)

Bernard de Clairvaux. Gravure de Cornelis Vermeulen (1644-1708)

Après tant de travaux accomplis, il ne lui restait plus qu’à mourir. Retournant à son lit de douleur, que la charité seule lui avait fait quitter, Bernard, assisté du vénérable Goyard, général de l’ordre, et entouré de ses six cents religieux, Bernard se prépare à mourir, ne sachant pas, comme il le disait lui-même, s’il doit se rendre à l’amour de Dieu qui l’attire, ou à l’amour de ses enfants qui le presse de rester ici-bas. Ceux-ci, accablés de douleur, s’efforcent de le retenir parmi eux ; le saint avait rendu le dernier soupir le 20 août 1153 qu’ils s’écriaient encore : « Ô père, voulez-vous donc abandonner ce monastère, n’avez-vous pas pitié de nous, que vous avez nourris de votre sein paternel ! Que vont devenir les fruits de vos travaux et de vos peines ? Que vont devenir les enfants que vous avez tant aimés ?… »

Le corps du saint fondateur fut déposé dans la chapelle du couvent. Mourir dans sa très chère vallée et y reposer, était regardé par lui comme une faveur signalée, et, quelque temps auparavant, il avait prédit à un de ses frères, pour le punir d’un manque de charité envers un des moines, qu’il ne reposerait pas au lieu de son couvent ; Guy était, en effet, mort dans un voyage qu’il faisait à Pontigny et y avait été inhumé.

À la sollicitation des religieux de Clairvaux, saint Bernard fut canonisé solennellement vingt et un ans après sa mort, par Alexandre III qui, vers la même époque, témoignait de la haute estime qu’il portait à ce grand homme et à sa glorieuse fondation en terminant ainsi une lettre adressée au roi Louis VII : « Nous vous recommandons de protéger en l’honneur de saint Bernard le monastère de Clairvaux qu’il a fondé et où repose son corps vénérable, de manière à mériter toujours son patronage. »

Saint Bernard laissa cent soixante monastères dans diverses contrées de l’Europe et de l’Asie. Dans la suite, on compte jusqu’à huit cents abbayes, issues et dépendantes de Clairvaux.

Garat, qu’on ne peut accuser de prévention en faveur des héros de la religion, dit de Bernard de Clairvaux dans son Éloge de Suger : « Nul homme n’a peut-être exercé sur son siècle une influence aussi extraordinaire. Entraîné vers la vie solitaire et religieuse par un de ces sentiments impérieux qui n’en laissent pas d’autres dans l’âme, il alla prendre sur l’autel toute la puissance de la religion. Lorsque, sortant de son désert, il paraissait au milieu des peuples et des cours, les austérités de sa vie, empreintes sur des traits où la nature avait répandu la grâce et la force, remplissaient toutes les âmes d’amour et de respect.

« Éloquent dans un siècle où la pensée et les charmes de la parole étaient absolument inconnus, il triomphait de toutes les hérésies dans les conciles : il frappait de terreur les courtisans jusqu’au pied du trône, il faisait fondre en larmes les peuples au milieu des places publiques. Son éloquence paraissait un de ces miracles de la religion qu’il prêchait. Enfin l’Église, dont il était la lumière, dans ces temps barbares, semblait recevoir les volontés divines par son entremise : les rois et les ministres, à qui son inflexible sévérité ne pardonna jamais un vice, et ne fit grâce d’un malheur public, s’humiliaient sous ses réprimandes, comme sous la main de Dieu même. Les peuples, dans leurs calamités, allaient se ranger autour de lui, comme ils vont se jeter au pied des autels.

« Egaré par l’enthousiasme de son zèle, il donna à ses erreurs l’autorité de ses vertus et la puissance de son caractère, et il entraîna l’Europe dans de grands malheurs ; mais il ne faut pas croire qu’il ait jamais voulu tromper, ni qu’il ait eu d’autre ambition que celle d’agrandir l’empire de la religion. C’est parce qu’il était toujours trompé lui-même, qu’il était toujours si puissant : il eût perdu son ascendant avec la bonne foi. L’Église, malgré ses erreurs, l’a mis au rang des saints ; la philosophie, malgré les reproches qu’elle lui fait, doit l’élever au rang des grands hommes. »

Peu d’années après la mort de Bernard, nous voyons le roi Philippe Auguste voguer vers la Terre-Sainte, et, assailli par une horrible tempête, il ranime le courage et la confiance de ses matelots par ces simples, paroles qui leur rappelaient quels intercesseurs ils laissaient sur le seuil de la patrie : « Il est minuit, c’est l’heure où la communauté de Clairvaux se lève pour chanter matines ; ces saints moines ne nous oublient jamais, ils vont apaiser le Christ, ils vont prier pour nous, et leurs prières vont nous arracher au péril ! »

Institut Montaigne – Portrait de Bachar el-Assad – Président de la République arabe syrienne – Par Michel Duclos

Michel Duclos
Conseiller spécial – Géopolitique, ancien ambassadeur

Michel Duclos est diplomate. Il est notamment l’auteur de la note Syrie : en finir avec une guerre sans fin.De 1984 à 1987, il occupe le poste de Directeur-adjoint du Centre d’Analyse et de Prévision du Ministère des Affaires étrangères, de 2000 à 2002, il est ambassadeur au COPS à Bruxelles, de 2002 à 2006 il est représentant permanent-adjoint de la France auprès des Nations Unies, de 2006 à 2009, il est Ambassadeur en Syrie, puis en Suisse de 2012 à 2014.Michel Duclos est diplômé de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA).

 

Assad est, dans notre galerie de portraits, le plus ancien dans ses fonctions de dictateur. C’est aussi celui qui a le plus de sang sur les mains. Son avenir paraît assuré – ce qui en dit plus long que tout sur l’état de notre monde.

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Début novembre 2007, le président Bachar el-Assad reçoit, non dans son palais de marbre qui domine Damas, mais dans un bureau obscur d’un quartier résidentiel de la ville, d’où il exerce vraiment le pouvoir au jour le jour, l’émissaire du président Sarkozy.

Le puissant secrétaire général de l’Elysée transmet au despote syrien tout le respect que lui porte le nouveau président de la République française. Celui-ci est disposé à renouer, dans certaines conditions bien sûr, des relations de coopération avec la Syrie. Bachar el-Assad est calme, souriant, affable, mesuré dans ses propos. Il s’exprime avec aisance dans un anglais convenable. Lui aussi ne voue que des sentiments amicaux à son homologue français. Pour l’un des témoins de cette scène, qui connaît un peu le président syrien, il est évident que la retenue dont fait preuve ce dernier dissimule une profonde jubilation intérieure. Assad n’en laissera rien paraître. Il savoure en silence ce moment de reconnaissance de son pouvoir, de réhabilitation de sa personne, d’adoubement de sa politique. Ce n’est qu’un début, mais l’autocrate héréditaire de Damas sait qu’il va sortir du froid dont les Occidentaux ont essayé de l’entourer les années précédentes.

« La culture occidentale de Bachar el-Assad n’est qu’un vernis superficiel qui n’a nullement entamé en lui le chef de clan alaouite, l’héritier d’une pratique du pouvoir qui ne fait confiance qu’à la force la plus brutale »

Lorsqu’il avait succédé à son père, le président Hafez al-Assad, à sa mort en 2000 – Bachar n’avait que 35 ans –, le président Chirac l’avait beaucoup encouragé et soutenu. On créditait alors le « jeune Président » d’intentions réformatrices et d’une volonté de paix. Tout au plus craignait-on que sa formation d’ophtalmologue à Londres, sa timidité, son discours verbeux et son allure désarticulée, ne fussent guère compatibles avec l’exercice du pouvoir dans un pays réputé fragile du fait de sa complexité ethnique et confessionnelle. On redoutait aussi qu’il fût entravé dans son action par la « vieille garde » sécuritaire héritée de son père.

Poids remarquable des légendes. En réalité, lorsqu’il accède au pouvoir, il a passé les six années précédentes – depuis la mort de son frère ainé Bassel, en 1994 – à se préparer à ses futures fonctions, sous la férule de son père. Celui-ci lui a confié par exemple le proconsulat au Liban – lieu de toutes les exactions et de tous les trafics pour les dirigeants syriens. Bachar el-Assad est un Michael Corleone qui aurait été en fait longuement initié. Hafez, avant de mourir, écarte lui-même une partie des grands seigneurs du renseignement (les Moukhabarat) qui pourraient faire de l’ombre à son fils. La culture occidentale de Bachar el-Assad n’est qu’un vernis superficiel qui n’a nullement entamé en lui le chef de clan alaouite, l’héritier d’une pratique du pouvoir qui ne fait confiance qu’à la force la plus brutale.

Au début de son règne, Bachar ouvre une parenthèse de relative liberté d’expression, mais la referme au bout de quelques mois. Il procède à des réformes dans le domaine économique, pour libéraliser l’économie, de manière sélective d’ailleurs (banques, assurances, import-export, téléphonie) pour le plus grand profit de la branche affairiste de sa famille. Les cousins Makhlouf notamment, mettent le pays en coupe réglée. Il achève de vider le parti Baath de tout pouvoir en dehors de celui de fournir des candidats aux fonctions officielles. Il reporte toujours à une date plus éloignée toute réforme politique. Il modernise bien, en un sens, la formule de gouvernement de son père : l’armée et le parti quittent plus ou moins le devant de la scène publique, les affairistes et les services de sécurité (déjà tout puissants sous Hafez) occupent tout le terrain ; la génération des fils, souvent formés à l’étranger, arrive progressivement aux affaires, encore plus avide de s’enrichir que la génération des compagnons d’Hafez. Les fondamentaux ne changent pas : le vrai pouvoir appartient à la famille Assad, manipulant un réseau d’allégeances et de corruption dont les alaouites, avec d’autres minorités (chrétiens, druzes, ismaéliens) sont le noyau dur, mais dans lequel la bourgeoisie sunnite ralliée a sa part de gâteau. La façade laïque du régime fournit un alibi à l’oppression des jeunes mécontents, aussitôt classés comme islamistes, mais là comme ailleurs le pouvoir abandonne en fait la société aux organisations religieuses, en échange d’une légitimation du système. Les opposants laïcs sont en prison, lorsqu’ils n’ont pas été simplement supprimés.

Les confidents de Bachar décrivent un homme effectivement sans arrogance dans ses rapports privés, mais fondamentalement sûr de lui et de son étoile, convaincu de sa supériorité sur ses contemporains, sans état d’âme dans l’exercice du pouvoir, y compris dans ses aspects les plus sordides, surtout peut-être dans ces aspects. Il a dans certains milieux damascènes, où l’on regrette son père, la réputation de ne pas savoir décider, de se montrer hésitant. En réalité, c’est peut-être vrai pour les questions de gestion administrative ou d’économie, qui ne l’intéressent pas, mais il est au contraire appliqué et déterminé quand il s’agit de « grande politique » : les affaires militaires et les relations avec l’étranger, la gestion des services, qui ont un droit de vie et de mort (sous la torture en général) à l’intérieur et une capacité de déstabilisation redoutable à l’extérieur.

« Malgré son allure de dictateur en carton-pâte, Bachar tient et se montre un homme de fer »

C’est à cet égard, dans la crise irakienne qui suit l’invasion américaine de 2003, que l’homme commence à donner toute sa mesure. Tout en collaborant ponctuellement avec l’administration Bush, qui n’hésite pas à externaliser auprès d’eux le « traitement » de tel ou tel « terroriste », les services syriens organisent une vaste opération de transfert en Irak de toutes sortes de radicaux islamistes sortis de leurs prisons ou venus de l’étranger. A cette époque, Assad se vante auprès de ses proches d’être le chef de la rébellion sunnite en Irak contre l’occupation américaine. Rétrospectivement, on peut penser que c’est cet exploit qui achève d’asseoir l’autorité du jeune président sur les « moukhabarat« . Vis-à-vis des Occidentaux – le Secrétaire d’État Powell, ou plus tard le sénateur Kerry – il explique benoîtement que la longueur de la frontière avec l’Irak limite l’efficacité des contrôles de ses services.

Parallèlement, Bachar al-Assad rompt avec l’attitude de son père vis-à-vis de l’Iran. C’est ce qui étonne le plus les Syriens, aujourd’hui encore. Hafez avait mis en place une coopération stratégique avec la République islamique, pour cogérer le Hezbollah notamment, mais Bachar s’affiche proche des Iraniens et du Hezbollah, y compris sur un plan personnel. Cet animal de pouvoir froid, apparemment sans affect, admire Nasrallah, qu’il reçoit en son palais à Damas, ce qui eût été inconcevable sous Hafez. A partir des années 2004-2005, et surtout à partir de l’été 2006 et de la guerre au Liban, il offre de plus en plus d’espace aux Iraniens pour qu’ils développent leur influence à Damas. Il ne relâche en rien la tutelle que, via son armée et les services, il exerce sur le pays du Cèdre. Assad et son clan voient d’un mauvais œil la montée en puissance de Rafik Hariri, longtemps docile vis-à-vis de Damas, mais qui s’affirme au fil des années comme un leader sunnite capable de mobiliser ses coreligionnaires au-delà de l’étroit théâtre libanais.

L’assassinat d’Hariri en février 2005 retourne définitivement Chirac contre Assad et déclenche une action franco-américaine aux Nations-Unies pour déloger les Syriens du Liban. Là aussi, malgré son allure de dictateur en carton-pâte, Bachar tient et se montre un homme de fer. Il est obligé de jeter du lest en retirant les troupes syriennes du Liban. Il absorbe le choc de la victoire électorale des anti-syriens du mouvement du 14 mars. Cependant une longue et sanglante campagne d’attentats rappelle aux Libanais que la férule syrienne se poursuit par d’autres moyens. L’enjeu en 2007 est de restaurer un fonctionnement normal des institutions, cyniquement bloquées pendant des mois par le régime syrien et ses clients/alliés libanais. C’est ce qui amène l’émissaire du président français à Damas en novembre 2007. On connaît la suite s’agissant de la relation franco-syrienne : le 14 juillet 2008 sur les Champs-Elysées, Sarkozy à Damas, le couple Assad de retour à Paris, etc.

« La montée aux extrêmes de la violence viendra très vite, et cela d’abord du fait des autorités légales du pays »

Bachar al-Assad avait une étrange capacité de séduction sur ses interlocuteurs, Sarkozy comme avant lui Chirac, mais aussi Erdogan, l’Emir du Qatar, Kofi Annan et beaucoup d’autres. La phase de séduction était cependant toujours suivie d’une phase de désenchantement car les bonnes paroles, ou même les engagements précis de l’homme de Damas n’étaient jamais suivis d’effets. On retrouvera à chaque étape de la biographie de Bachar al-Assad cette duplicité systématique, sans que la finalité de celle-ci soit toujours perceptible. Sarkozy ne s’attendait pas au massacre de Deraa, au début de 2011, comme Chirac avait été surpris par l’assassinat de Rafik Hariri. En fait, tous les familiers des arcanes syriennes savaient qu’en cas de crise interne, les règlements de compte seraient sanglants. Le dos au mur, les alaouites, minorité détestée (10 % de la population), se battraient au couteau s’il le fallait. Or, lorsque le « printemps arabe » a atteint la Syrie, c’est d’emblée que le pouvoir a eu recours à la force la plus extrême, sans attendre d’être vraiment en difficulté.

Dès les premières escarmouches, des graffitis d’enfants à Deraa en mars 2011, Damas envoie la troupe et les moukhabaratutilisent leurs méthodes atroces. La montée aux extrêmes de la violence viendra très vite, et cela d’abord du fait des autorités légales du pays. Pour certains, les islamistes étaient en embuscade depuis longtemps. Le régime agitera très vite le « récit » d’un complot de l’étranger en conjonction avec les Frères musulmans. N’ouvrons pas ici un débat qui occupera les historiens. Ce qui retient notre attention, c’est le rôle personnel de Bachar el-Assad : comment un despote autoritaire moderne bascule-t-il dans le crime de masse ? Comment aussi, l’héritier d’une dynastie nationaliste en vient-il, dans une guerre civile féroce, à remettre les clefs de la souveraineté de son pays à des puissances étrangères ?

Un élément de certitude est que Bachar est le produit d’un système et d’une culture. Pour la plupart des Syriens, les massacres de 1982 à Hama (au moins 20 000 morts, sans emploi de l’arme chimique), concluant une révolte de plusieurs années, menée alors par les Frères musulmans, ont marqué au fer rouge la conscience politique du pays. D’un côté, la majorité arabe sunnite (73 % de la population avant la guerre) en a tiré la conclusion que tout soulèvement était inutile, qu’il fallait se soumettre et en même temps que les mosquées offraient l’ultime refuge à un minimum de liberté personnelle. C’est à partir de cette date que la piété populaire connut un nouvel essor. D’un autre côté, les soutiens du pouvoir retiennent de l’épisode de Hama l’idée que « ces gens-là, animés d’une haine inexpiable, se préparent à la revanche, une revanche qui viendra nécessairement un jour » (témoignage recueilli par l’auteur en 2007-2008 auprès de hauts responsables du régime).

Dans les semaines qui ont précédé le « printemps arabe », on a entendu Assad confier à des proches : « c’est mon père qui avait raison, les milliers de morts de Hama nous ont assuré trois décennies de stabilité« . Compte tenu de son ADN, il était presque fatal que le régime des Assad réponde à la contestation par la violence, à la révolte par la terreur, à l’encerclement dans Damas assiégée, ce qui sera le cas dès 2012, par une stratégie de bombardement des villes, de siège des quartiers révoltés, de prise en otage des populations pour isoler l’opposition armée. La chance d’Assad – il a raison de croire en sa bonne étoile – a été de trouver à Moscou et à Téhéran des alliés déterminés à lui offrir les moyens de mener cette stratégie lorsqu’il fut clair qu’à armes égales, ses propres forces avaient perdu la bataille. Une autre chance, véritable cadeau des dieux, a été la montée en puissance à partir de l’été 2014 de l’organisation de l’État islamique (Daesh), avec laquelle il s’entendra très bien, qui lui permettra de gagner la « bataille des récits » et détournera les Occidentaux vers un combat plus directement compréhensible par leurs opinions que le soutien à la révolution syrienne.

A titre personnel, Bachar al-Assad a-t-il connu des moments de doute, ou d’hésitation ? Son addiction à la duplicité fait qu’il est difficile d’interpréter les indices dont nous disposons… Lors de la médiation de la Ligue arabe en 2011, il reçoit longuement un éminent juriste égyptien. Celui-ci lui explique qu’une sortie de crise pourrait résulter d’une réforme constitutionnelle qui lui permettrait de garder le pouvoir mais en re-calibrant ses prérogatives. L’idée sera souvent évoquée par la suite. Assad approuve, parait même enthousiaste, demande à son visiteur de prendre contact avec des constitutionnalistes syriens pour mettre au point des textes. Ali Mamelouk, le coordonnateur des services de renseignements, quelques jours plus tard, se chargera de faire comprendre aux juristes syriens qu’il est hors de question pour le Président de voir ses prérogatives réduites ou même encadrées.

« Il sera ce dictateur sérieux qui a dû affronter une situation vraiment difficile, mais avec lequel on peut, on doit même, trouver des solutions pour stabiliser cette région. « 

En septembre 2013, pressé par ses parrains russes, il accepte de démanteler son arsenal d’armes chimiques dont il niait jusqu’ici l’existence. Il a l’intelligence politique de saisir que ce « deal » le remet en selle à un moment périlleux pour lui. L’une de ses forces est qu’il comprend la logique des décideurs occidentaux beaucoup mieux que ceux-ci ne comprennent sa propre logique. Dans son esprit, il est impensable bien entendu de vraiment détruire tout son stock d’armes chimiques. Il lui est probablement difficile aussi d’imaginer que les Occidentaux le croient quand il prétend avoir tenu parole. Il leur prête la même duplicité que la sienne : lors des frappes franco-anglo-américaines d’avril 2018, à la suite du recours au chimique dans la Ghouta, il juge, selon certains témoignages, que Trump, Macron et May ont simplement cherché à sauver la face vis-à-vis de leurs opinions mais n’ont nullement l’intention de lui faire très mal. Dans les années Obama, lorsque le président des États-Unis répétait régulièrement « Assad must go« , les généraux proches de lui observaient que les Américains n’avaient jamais tiré un coup de fusil (ou un missile) contre les forces syriennes et donc que « Obama ne veut pas le départ d’Assad« . Bachar et ses comparses se trompent-ils vraiment beaucoup dans leur lecture des dirigeants occidentaux ?

Un autre Assad va maintenant faire son apparition, qui est en même temps toujours le même. Une autre légende va s’imposer. Les plus de cinq cent mille morts syriens vont vite être oubliés. Les atrocités commises sous la direction d’Assad – que l’on songe au dossier César sur les milliers de corps martyrisés dans des prisons de Damas ou au documentaire de Manon Loizeau sur le sort des femmes dans les geôles du régime – vont être mises sur le compte des inévitables malheurs de toute guerre civile. Ali Mamelouk est déjà reçu en émissaire respectable à Rome. Les Russes, les Israéliens et Donald Trump sont d’accord pour le maintien en place du président Assad. Les Iraniens en sont ravis, qui savent que la famille Assad est leur seul appui dans le spectre des acteurs politiques syriens. Bachar ne doute pas que les Européens vont suivre le mouvement. Il sera ce dictateur sérieux qui a dû affronter une situation vraiment difficile, mais avec lequel on peut, on doit même, trouver des solutions pour stabiliser cette région.

Malgré la reconquête du Sud de la Syrie – des forces du régime et de la Russie viennent de reprendre Deraa – quarante pour cent du territoire échappe encore au contrôle d’Assad. Ce dernier s’attend cependant à savourer d’autres moments d’adoubement.

Il ne se jettera pas pour autant au cou des nouveaux amis qui se présenteront à lui, ou des vieux amis qui reviendront. Dans le manuel du parfait dictateur transmis par son père, il suffit le plus souvent d’attendre, de tenir, et l’alignement des étoiles s’effectue naturellement. Ses dix-huit ans de règne lui ont amplement démontré la véracité de cette règle. Tenir, mais aussi exploiter les opportunités : faire en sorte que le double parrainage russo-iranien, qui ne va pas sans rivalité, sur fond de connivence historique des Israéliens avec la famille Assad, lui offre des marges de manœuvre ; et surtout, profiter des déplacements massifs de population, à l’intérieur (plus de six millions de personnes) ou à l’extérieur (cinq à six millions), pour remanier les équilibres démographiques du pays, au moins dans certaines zones cruciales, au profit du régime et de ses parrains iraniens. Le président Assad s’est félicité qu’avec le départ des exilés, « la société soit devenue plus saine et plus homogène » (été 2017, à l’inauguration de la Foire de Damas). En des temps plus scrupuleux, on appelait cela du nettoyage ethnique. Assad signe maintenant des décrets privant les exilés de leurs biens. Il est courant que de rares exilés qui reviennent au pays soient abattus par les milices du régime.

Depuis quelques jours, des centaines de familles syriennes reçoivent enfin une notification officielle de la mort de milliers de leurs proches, entre 2011 et 2014, dans les prisons syriennes, très souvent sous la torture. Dans les discussions diplomatiques entre les grandes capitales, il n’est question que de favoriser la reconstruction du pays pour provoquer le retour des réfugiés.

Souvenir de nos voyages, c’était en 2011.  LA FRANCE PITTORESQUE – Krak des Chevaliers, en Syrie : forteresse des Croisés bravant les siècles (D’après « Le Monde illustré », paru en 1934)

Monument le plus représentatif, tant en France qu’en Orient, de l’art militaire français du XIIe et du XIIIe siècle, le Krak des Chevaliers, situé au coeur d’un réseau défensif des frontières des anciens États latins d’Orient, fut érigé à la fin du XIe siècle par les Turcs sur le site d’une petite forteresse avant d’être investi par les Croisés puis confié aux Hospitaliers deux siècles durant, le temps de résister à nombre d’attaques et d’être par eux reconstruit suite à un tremblement de terre

C’est dans un site merveilleux cher à Barrès, chanté dans son Jardin sur l’Oronte(1922), que s’élève ce château fort, dressant fièrement vers le ciel d’Orient la puissance et la foi des preux chevaliers de France : Lattaquié (en Syrie), qui fut la Ramitha des Phéniciens, la Leuke-Akté des Grecs sous l’empire séleucide, la Laodicea ad mare des Romains, parvint à l’apogée de sa splendeur sous les Sévères et les Philippes, sous Zénobie la Palmyrienne.

Le Krak des Chevaliers

Le Krak des Chevaliers

De ces temps, subsistent, témoins émouvants, des colonnades à chapiteaux corinthiens et le merveilleux Tetrapyle. Et une ceinture de jardins est demeurée où des fouilles permirent de retrouver un pavement de mosaïques multicolores représentant les Travaux d’Hercule. Sur la route allant vers Antioche, vers la droite le tell Deirel-Farous laisse émerger, comme d’ardentes oraisons lapidaires, les ruines d’un couvent célèbre aux temps des Croisés.

Telle est la cité de Lattaquié, qui abrite le Krak des Chevaliers. Krak ou Crac est dérivé d’un mot syriaque signifiant « forteresse ». Sur l’emplacement de ce château fort se trouvait un château arabe, que le comte de Toulouse, Raymond de Saint-Gilles, prit d’assaut et occupa au cours de la première Croisade, en 1099. Dès 1110, Tancrède s’empara définitivement de cette importante situation stratégique et les Croisés construisirent sur l’escarpement de 650 mètres d’altitude, qui dominait la trouée de Homs, et faisait communiquer la Vallée de l’Oronte avec la mer, le krak, formant aujourd’hui le bourg de Qal’at al-Hosn.

La forteresse, confiée en 1142 à l’ordre des Chevaliers de l’Hôpital, qui y entretenaient une garnison de 2000 hommes, devint la principale défense de l’Orient contre les Musulmans. Plusieurs fois attaqué en vain par les armées de Nur ad-Din (1117-1174) — Émir de Damas et d’Alep — et de Saladin (1138-1193) — sultan d’Égypte et de Syrie —, le krak servit souvent de lieu de concentration aux troupes du Roi de Jérusalem. En avril 1271 la place fut enlevée par Baybars, sultan des Mamelouks, au terme d’un long siège. Après la capitulation, les habitants furent transportés à Tripoli et l’église convertie en mosquée musulmane.

Cour intérieure du Krak des Chevaliers

Cour intérieure du Krak des Chevaliers

Au début, le château ne possédait qu’une enceinte avec des tours carrées. Au XIIIe siècle, les Hospitaliers construisirent les grandes tours rondes de l’Ouest et du Sud reposant sur des talus hauts de vingt mètres et en enfermèrent l’ouvrage primitif dans une enceinte extérieure. Le donjon, dont l’épaisseur est de 6m50, domine le grand Bassin au milieu du front sud.

Sur le front oriental existe une chapelle romane de style provençal, qui semble avoir été construite par les maîtres d’œuvres de la cathédrale de Tortose, ainsi qu’en attestent l’appareil à bossages de faible saillie et le parement à joints vifs. En 1928, en déblayant l’étage inférieur de la forteresse, les archéologues réussirent à dégager, derrière les talus, une salle de 120 mètres de long qui était comblée jusqu’aux voûtes : on y retrouva un grand four à pains et un puits, un grand bassin, sept citernes alimentant en eau la forteresse ; au sommet d’une des tours se trouvait un moulin à vent.

Tel est le Krak, dont la masse imposante atteste de la violence de la lutte lors des croisades. Que de souvenirs flottent autour de ce donjon farouche, autour de ces fortifications, de ces chemins de ronde, de ce sanctuaire et de cette forteresse. Les gouverneurs successifs semblent, invisibles, lui faire encore une garde d’honneur, tous venus de la douce France : Pierre de Mirmande, Geoffroy le Rat, Raymond de Pignans, Arnaut de Montbrun, Hugues Revel. Aymar de la Roche, Nicolas Lorne et d’autres encore.

Le Krak des Chevaliers

Le Krak des Chevaliers

Et lorsque l’on visite la petite chapelle une exquise enluminure aux ors alanguis. aux tons vifs et chauds semble éclairer les ombres du saint lieu : et l’on revoit le sire de Joinville venant chercher là, près de l’autel, l’écu de son oncle Geoffroy V, l’un des héros de la troisième et de la quatrième croisades vers 1204 à l’abri des murailles imposantes du Krak, promontoire inviolable de la chrétienté.

Le monument a été inscrit en 2006 au patrimoine mondial de l’UNESCO. Le 31 juillet 2016, et pour la première fois depuis 1271, la messe a été célébrée au sein de la chapelle de la citadelle croisée.

 

 LA FRANCE PITTORESQUE – 5 août 1529 : Paix des Dames ou de Cambrai (D’après « Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours » (Tome 4) par Abel Hugo, paru en 1841)

L’année précédente, une armée commandée par le comte de Saint-Pol, gouverneur du Dauphiné depuis 1527, était entrée en Lombardie, où Antonio de Leyva occupait toujours Milan, et y avait obtenu quelques succès. L’année 1528 s’était écoulée heureusement ; mais en 1529 la fortune ne fut plus aussi favorable aux Français. Le 21 juin au passage de l’Olona, près de Landriano, Saint-Pol, surpris par les impériaux de Charles Quint, fut fait prisonnier avec ses principaux officiers, et l’armée, découragée de la perte de son chef, repassa les Alpes.

Toutes les puissances étaient lasses de la guerre ; les trésors de tous les souverains étaient épuisés : ce fut donc avec bonheur que les peuples apprirent que la paix avait été signée à Cambrai, au nom de l’empereur Charles Quint et du roi de France François Ier, par Marguerite d’Autriche et Louise de Savoie. Cette paix, à cause du sexe des négociateurs, fut nommée la Paix des dames. Les plénipotentiaires des deux puissances contractantes étaient en effet deux femmes : Louise de Savoie traitait pour le roi François Ier, son fils, et Marguerite d’Autriche pour l’empereur Charles Quint, son frère.

Louise de Savoie, mère de François Ier

Louise de Savoie, mère de François Ier

Le traité de Cambrai, auquel accédèrent, par la suite, toutes les autres puissances belligérantes, le roi d’Angleterre, le pape, les États italiens, était plus favorable que le traité de Madrid, signé le 14 janvier 1526 par le roi de France cependant qu’il était prisonnier de l’empereur Charles Quint à la suite de la défaite française de Pavie le 24 février 1525). Le roi conservait la Bourgogne, excepté le Charolais, qui devait lui faire retour à la mort de l’empereur ; mais il renonçait à toutes ses possessions d’Italie. La rançon des princes — les deux fils de François Ier livrés;s comme otage à Charles Quint — était fixée à 2 000 000 écus. Enfin, le mariage de François Ier avec Éléonore d’Autriche devait être le gage d’une paix sincère.

Cependant le roi protesta, à Paris, le 29 novembre 1529, contre le traité de Cambrai, « comme lui ayant extorqué, contre les lois et usages de la guerre, en sus d’une rançon en argent, la cession du duché de Milan, du comté d’Ast et de la seigneurie de Gênes.

Les deux princesses qui avaient négocié le traité de Cambrai ne survécurent pas longtemps à sa conclusion : Marguerite d’Autriche mourut le 1er décembre 1530, et Louise de Savoie le 22 septembre 1531.

Un des auteurs qui ont blâmé le plus le traité de Cambrai, l’historien des Républiques italiennes, qui reproche au roi de France d’avoir, dans cette occasion, abandonné ses alliés et ses partisans, dit néanmoins, au sujet de ce traité : « Il contribua peut-être plus qu’aucune autre circonstance de sa vie à faire recueillir à François Ier la gloire de protecteur et de père des lettres, qui s’est attachée à son nom. Cette période des trente premières années du siècle, marquée pour l’Italie par tant de calamités, était en même temps celle où l’étude des lettres antiques, le renouvellement de la poésie moderne et la pratique des beaux-arts avaient brillé du plus vif éclat. Dans chacune des villes d’Italie capitale d’un petit État indépendant, le nombre des savants, des littérateurs, des poètes, des peintres, des sculpteurs, des architectes, était aussi grand ou même plus grand que dans les plus vastes États du reste de l’Europe ; il était surtout prodigieux à Florence, l’Athènes du Moyen Age.

Marguerite d'Autriche, soeur de l'empereur Charles Quint

Marguerite d’Autriche, sœur de l’empereur Charles Quint

« Dans ce moment d’ardeur pour le renouvellement des études, on se persuadait que la gloire des princes était plus attachée à la protection qu’ils donnaient aux lettres, qu’à la sagesse de leur gouvernement ou à l’éclat de leurs exploits : aussi n’y avait-il si petit souverain d’Italie qui ne fondât une académie, qui ne s’entourât de savants, et qui ne crût se rendre immortel par la distinction des hommes qu’il attirait à sa cour. Celte avidité de célébrité littéraire avait gagné les cours de France, d’Allemagne et d’Angleterre. Les princes sentaient la nécessité de recevoir une éducation lettrée, surtout dans leur commerce avec l’Italie ; ils avaient appris à s’enorgueillir du nombre de savants qui se mettaient sous leur protection.

« François Ier avait, plus qu’aucun autre, cette vanité. On assure que lorsqu’il était encore entre les mains de son pédagogue, il montrait de la déférence pour tous ceux qui savaient déjà ce qu’on lui enseignait alors ; que Balthasar Castiglione lui communiqua, comme il n’était encore que duc de Valois, son livre célèbre du Cortegiano, et se vanta ensuite d’avoir reçu de lui des avis utiles. François avait connu assez l’Italie pour sentir combien elle était plus civilisée que le reste de l’Europe, et pour la regarder comme la dispensatrice de la gloire : c’était le motif qui l’avait déterminé à tourner toujours ses armes de ce côté.

« Les malheurs de l’Italie, dont il était la cause principale, déterminèrent un nombre très considérable d’Italiens à chercher un refuge dans ses États, et, parmi eux, on y vit arriver beaucoup de philosophes, de poètes, de savants, comme beaucoup de peintres et d’architectes. L’asservissement de Florence, surtout, remplit d’émigrés sa cour et son royaume. Ceux qui avaient le plus brillé dans cette république étaient proscrits par Alexandre de Médicis, le tyran que l’empereur et le pape avaient donné à la Toscane. Toute l’Italie tremblant devant l’empereur, leur était fermée ; ils étaient obligés de venir chercher un asile dans cette France même qui les avait abandonnés, et de demander quelques secours, quelque compensation pour les biens qu’ils avaient perdus, à ce monarque qui les avait trahis.

« Le commerce de louanges auquel les littérateurs ne sont que trop enclins s’établit bientôt, et François Ier reçut leurs flatteries en échange pour les pensions qu’il leur accorda. (…) Les artistes italiens furent les restaurateurs de la peinture et de l’architecture en France. (…) François Ier choisit parmi les Italiens réfugiés les premiers professeurs de la langue hébraïque pour son collège royal. Beaucoup d’autres réfugiés se distinguèrent en France par leurs écrits, tandis qu’un grand nombre de capitalistes, de marchands, de manufacturiers, importaient dans les villes du royaume, et surtout à Lyon, les arts industriels que la tyrannie chassait d’Italie. »

Unfamous Resistenza  – Extraits de l’interview de Jean Rochefort par Nadège Michaudet –  le 6 Février 2016 Photo : Jeanloup Sieff (1975)

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Pourquoi la plupart des hommes politiques se désintéressent de la culture?

Jean Rochefort : Mais comment pourraient-ils s’intéresser à la culture? La seule chose qui les intéresse c’est le pouvoir. Avant, ils allaient voir des spectacles, des expositions, ils lisaient des livres, ils écoutaient les artistes… Mais aujourd’hui, c’est fini. Ils sont concentrés sur une seule chose: comment conquérir le pouvoir et comment le conserver. A tout prix. On est loin de la culture, très loin.

Comment les convaincre de l’importance de la culture?

Je ne vois pas de solution ! A part que nous, les citoyens, fassions les bons choix au moment des élections. Coluche avait obtenu 24% d’intentions de vote au premier tour quand il a annoncé qu’il allait se présenter à l’élection présidentielle. Alors qu’il avait fait ça pour rire. Pourquoi un tel succès? Parce que les gens avaient confiance en lui, en sa sincérité, son engagement pour les plus démunis… C’était un homme du peuple, qui aimait les autres. Aujourd’hui, on a perdu tout ça. Les valeurs du vivre-ensemble. Et la culture est le seul ciment qui permette de renouer avec ces valeurs du vivre ensemble.
[…]

La culture fait-elle peur aux hommes politiques?

Je pense surtout qu’ils s’en foutent ! On ne les voit jamais au théâtre, à l’opéra, au concert… car ils sont toujours débordés. On a l’impression que, pour eux, la culture est une contrainte. Alors que ça devrait être un moment de bonheur.
Mais plutôt que miser sur la culture, ils préfèrent acheter des armes, mettre des flics à chaque coin de rue, des portiques devant les écoles… Mais ce n’est pas une solution pour lutter contre l’intolérance, la bêtise… Ce n’est pas la solution pour résoudre le problème en profondeur et développer le vivre ensemble.

Mais les attentats ont vidé les salles !

Ce n’est pas toujours vrai. Depuis plusieurs mois, il se passe des choses folles. Exemple « Fleur de cactus » avec Catherine Frot. Des autocars entiers affluent chaque soir car cette pièce réunit des acteurs prodigieux et que les gens rient, partagent… Dans la salle, l’ambiance est inimaginable.
On ne peut lutter contre la peur qu’avec la culture. Car la culture c’est avant-tout une rencontre. Après la guerre, il y avait une effervescence incroyable. On jouait des spectacles avec des bouts de ficelle. Mais on s’en fichait. L’essentiel c’était de partager. Après la violence, le bonheur d’être ensemble.

Quelle est la solution aujourd’hui?

Au fond, rien n’a changé. La culture, c’est toujours la seule solution pour créer de la cohésion. Une culture pour tous ! On en a besoin. Malheureusement, une partie de la population s’est éloignée de la culture.

Pourquoi cette défiance vis-à-vis de la culture?

Parce que la culture leur a fait peur. Et ça, c’est de notre faute à tous : les politiques mais aussi les hommes et femmes de culture. Un jour, j’ai joué au Théâtre d’Aubervilliers, un théâtre de banlieue subventionné. Avant d’aller dans ma loge, j’avais pris l’habitude d’acheter une cuisse de poulet dans une boucherie située juste en face. Un jour, la vendeuse me demande ce que je fais tous les soirs à Aubervilliers. Quand je lui ai répondu que je jouais au théâtre, elle a seulement dit : «Ah bon» comme si je venais d’une autre planète. L’idée toute simple de traverser la rue pour découvrir ce théâtre ne l’avait jamais effleurée. Car elle avait peur de ne pas se sentir à sa place. Des exemples comme celui-ci, j’en ai malheureusement plein. Si la concierge de mon immeuble se rend à une exposition, il y a dix mémères du 7ème arrondissement de Paris qui la toisent en se demandant ce qu’elle fait là. Tout cela confirme que la démocratisation de la culture est un véritable échec.

Quelle est la raison de cet échec?

Le problème c’est que pour démocratiser la culture, il faut des artistes modestes. Alors que certains utilisent la culture pour se mettre en valeur au lieu d’avoir une seule ambition : partager avec le plus grand nombre. Voilà pourquoi on a complètement foiré la démocratisation de la culture! Les subventions devaient permettre de démocratiser la culture. Mais en réalité, la culture reste réservée à une élite. Il n’y a que des instits dans les salles de théâtre. Beaucoup de gens de classes sociales dites «inférieures » ont été exclus par le système et se sont détachés de la culture en se disant : «Ça ce n’est pas pour nous !». Et ils ont préféré rester devant leur poste de télévision.

Vous accusez la télévision?

J’appartiens à la génération d’après-guerre. Quand on a vu arriver la télévision, on pensait que la vie ne serait plus jamais comme avant. Car on imaginait que cet engin allait abolir les classes sociales, qu’on serait tous égaux, ouverts au monde… Car on aurait tous accès à la culture. Evidemment, on a été extrêmement déçus. Car la télévision produit souvent de l’anti-culture.
[…]
Oui il faut que la culture redevienne une priorité, oui il faut augmenter le budget de la culture. Mais je pense qu’il faut d’abord décider où va cet argent. Aujourd’hui, pour obtenir des subventions, il faut «un bon Libé» comme on dit dans le milieu. C’est un système pervers car cela veut dire que l’essentiel de l’argent public est réservé toujours aux mêmes. Une petite élite. Alors que de nombreux acteurs de la culture font un travail formidable mais souvent ils n’ont pas les moyens de survivre.
Un petit spectacle de danse, même monté par des amateurs, sur une petite scène de province, peut faire rêver. Et il doit être soutenu. C’est dans cette perspective qu’il faut défendre la culture. Une culture populaire au bon sens du terme, c’est-à-dire proche des gens.

Jean Rochefort, un des acteurs les plus populaires du cinéma français, est mort dans la nuit de dimanche à lundi 9 octobre. L’acteur, qui avait commencé sa carrière dans les années 1950, est mort dans un hôpital parisien, il était hospitalisé depuis le mois d’août. Jean Rochefort a marqué le cinéma français pendant plusieurs décennies, du petit au grand écran. Immédiatement reconnaissable à sa voix chaude et sa belle moustache, Jean Rochefort a tourné près de 150 films, aussi bien de cinéma d’auteur que populaire. Sa longue carrière a été couronnée de trois Césars, pour ses rôles dans Que la fête commence en 1976, Le Crabe-Tambour en 1978, et un César d’honneur en 1999. Il nous manquera beaucoup ce grand Monsieur, acteur élégant, attachant, populaire. Un grand maître à l’instar de Don Quichotte, il était capable de vivre éternellement (…). Adieu Monsieur Rochefort. 

LA FRANCE PITTORESQUE -24 octobre 1360 : ratification du traité de Brétigny scellant la libération du roi de France, prisonnier du roi d’Angleterre – (D’après « Histoire générale de France depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours » (Tome 4) par Abel Hugo, paru en 1841)

Conclu au mois de mai précédent, le traité est confirmé à Calais et met un terme aux quatre années de captivité à Londres de Jean II, roi de France prisonnier des Anglais depuis la bataille de Poitiers du 19 septembre 1356

Jean II, le roi de France, était captif en Angleterre, fait prisonnier le 19 septembre 1356 lors de la bataille de Poitiers. Édouard III d’Angleterre, en traitant son prisonnier avec une générosité apparente, mettait de dures conditions à sa délivrance, et Jean II, fatigué de sa captivité, finit par consentir à restituer toutes les provinces conquises sur l’Angleterre depuis Henri II, et à dispenser le monarque anglais de l’hommage pour ses diverses possessions en France. Le traité fut envoyé à Paris ; mais les États généraux, d’accord sans doute avec le régent, refusèrent de le ratifier (mars 1359).

Charles le Mauvais, roi de Navarre, qui avait déclaré la guerre au régent — le dauphin, fils de Jean II et futur Charles V — et ravageait les provinces françaises, s’allia de nouveau avec le roi d’Angleterre. Irrité des refus des États généraux, Édouard III, qui, pendant la trêve, avait fait d’immenses préparatifs, descendit à Calais avec cent mille hommes. Le régent ne pouvant arrêter sa marche, pourvut à la défense des places, et y fit transporter les vivres, les fourrages et les effets précieux ; les campagnes restèrent abandonnées à l’ennemi, selon la tactique dite de la terre déserte.

Représentation du roi Edouard III d'Angleterre extraite des albums du roi Louis-Philippe constitués dans la première moitié du XIXe siècle

Représentation du roi Edouard III d’Angleterre extraite des albums du roi
Louis-Philippe constitués dans la première moitié du XIXe siècle

Le roi d’Angleterre parcourut les provinces sans rencontrer d’obstacles et acheva de détruire ce qui avait échappé à la fureur des bandes et des paysans. Il attaqua Reims le 20 décembre 1359, où il voulait se faire sacrer roi de France ; mais les habitants, animés par leur archevêque, lui opposèrent une résistance si vigoureuse qu’il fut obligé de lever le siège (11 janvier 1360), se vengeant de ce mauvais succès en pillant la Champagne, en rançonnant la Bourgogne, en ravageant le Nivernois, la Brie et le Catinois ; puis il se présenta devant Paris, où le régent s’était enfermé.

Il essaya en vain de l’attirer à une bataille, ne put lui faire changer son plan de défense, et se retira pour aller ravager le Maine, la Beauce et les environs de Chartres ; sa position commençait néanmoins à I’inquiéter ; il n’avait pu s’emparer encore d’aucune ville importante ; le pays, ruiné par ses troupes, ne lui fournissait plus de vivres ; il n’était pas plus avancé que lorsqu’il était entré en France, et il craignait de perdre son armée en prolongeant cette expédition ; mais son orgueil avait peine à y renoncer. Un orage affreux (13 avril 1360) qui épouvanta ses troupes lui servit de prétexte ; il supposa en avoir été effrayé lui-même, et avoir fut vœu de consentir à la paix. Il retourna donc en Angleterre, et signa le traité de Brétigny, qui fut approuvé par les États généraux le 8 mai 1360.

Par ce traité, le roi Jean cédait le Poitou, la Saintonge, le Limousin, le Périgord, l’Agenois, le Quercy, Calais, Guînes et Montreuil ; il renonçait à l’hommage qui lui avait été rendu jusqu’alors pour la Guyenne et pour le comté de Ponthieu ; enfin, il s’engageait à payer trois millions d’écus d’or. De son côté, Édouard renonçait à toute prétention sur la couronne de France et sur la principauté de la Normandie, de la Touraine, du Maine, de l’Anjou, de la Flandre et de la Bretagne. Les renonciations formelles devaient être confirmées tard par les deux monarques, et le roi de France devait livrer en otages trois de ses fils, son frère et trente-six autres princes ou seigneurs.

« Une observation qui me semble avoir échappé aux historiens, dit Chateaubriand, doit être faite : Jean, en cédant tant de provinces à Édouard, ne cédait pourtant presque rien des domaines de son royaume proprement dit. C’étaient des seigneurs indépendants, les La Marche, les Comminges, les Périgord, les Châtillon, les Foix, les Armagnac, les Albret, qui changeaient seulement de seigneur : qui, ne reconnaissant jamais que la couronne de France, eût eu le droit de leur donner un autre suzerain, en appelèrent, sous Charles V, a cette couronne, et secouèrent le joug étranger. Ainsi, ce démembrement de la monarchie féodale ne se pourrait comparer en aucune manière au démembrement de la monarchie compacte et constitutionnelle d’aujourd’hui. »

Représentation du roi de France Jean II le Bon extraite des albums du roi Louis-Philippe constitués dans la première moitié du XIXe siècle

Représentation du roi de France Jean II le Bon extraite des albums du roi
Louis-Philippe constitués dans la première moitié du XIXe siècle

Charles le Mauvais, craignant que le roi de France, débarrassé de toute inquiétude du coté de l’Angleterre, ne le punît de ses perfidies, s’empressa de signer la paix avant que le roi eût été rendu a la liberté. Jean II rentra en France le 23 octobre 1360, après plus de quatre ans de captivité, et confirma le lendemain, à Calais, le traité de Brétigny.

La fin de son règne ne fut pas plus heureuse que ne l’avait été le commencement. Trois de ses fils donnés en otages le remplacèrent en captivité. Il trouva te royaume que lui avait conservé la prudence de son fils aîné dans un état de misère effroyable. Aux ravages des grandes compagnies d’aventuriers succédèrent la famine et la peste. Les nouvelles bandes, qui prirent le nom de tard-venus, parce qu’elles avaient commencé plus tard leurs brigandages, se réunirent aux anciennes, et devinrent des corps redoutables, composés de brigands de toutes les nations, habitués à la guerre et commandés par d’habiles capitaines ; elles furent en état de résister aux armées que le roi envoya contre elles.

La grande compagnie, commandée par Séguin de Battefol, chevalier gascon, défit aux environs de Lyon, près du château de Brignais, une armée commandée par Jacques de Bourbon, comte de La Marche, qui avait réuni sous sa bannière les chevaliers de l’Auvergne, du Limousin, de la Provence, de la Savoie et du Dauphiné. Dans cette bataille, le comte de Forez fut tué, le comte de La Marche et son fils furent blessés à mort, et un grand nombre de chevaliers, parmi lesquels on comptait plusieurs comtes et barons, restèrent au pouvoir des aventuriers qui, n’ayant plus d’ennemis à craindre, pillèrent le Mâconnais, le Lyonnais, le Forez, le Beaujolais, et descendirent par les rives du Rhône jusqu’à Avignon, d’où le pape Innocent VI ne put les éloigner qu’en leur donnant l’absolution et trente mille florins d’or. Cette grande compagnie, prise à la solde du marquis de Montferrat, passa en Italie pour faire la guerre aux Visconti de Milan.

RetroNews – Quand Le Figaro lançait les premières petites annonces amoureuses – Par Marina Bellot 

« Le diable amoureux », estampe représentant une scène de théâtre, 1844 – source : Gallica-BnF

En 1875, Le Figaro lance une rubrique révolutionnaire pour l’époque : intitulée la « Petite correspondance », elle est entièrement dédiée à la publication de messages amoureux. Le succès est immédiat.

En janvier 1875, Le Figaro décide de lancer dans son supplément littéraire du dimanche une nouvelle rubrique, totalement inédite : la « Petite correspondance ».

Les petites annonces existent alors déjà dans Le Figaro, mais celles-ci sont bien particulières puisqu’elles sont uniquement dédiées à la publication de messages amoureux.

Le succès est rapide. À une époque où le téléphone commence à peine à fonctionner et où le courrier est encore lent, les lecteurs du quotidien s’emparent de ce moyen de « communiquer » en toute discrétion.

Signés par des pseudonymes ou de simples initiales, dans un langage parfois codé et souvent fleuri, ces courts messages – la ligne de 60 lettres vaut 3 francs – expriment avec une étonnante liberté les sentiments de leurs auteurs, amoureux transis ou déçus, prétendants pleins d’espoirs ou éconduits.

Ils en disent aussi parfois long sur l’époque, de la solitude des « rentiers » et « femmes du monde » qui recherchent désespérément des correspondants avec qui échanger des lettres et plus si affinités, aux récriminations maritales en passant bien sûr, par l’adultère – dont on s’aperçoit, au passage, qu’il n’est alors pas l’apanage des hommes.

Ainsi, la mystérieuse Marquise des H.F. a des exigences bien particulières :

« UNE FEMME DU MONDE, distinguée et spirituelle, quoique sans bas de couleur, mais très triste par suite de circonstances néfastes, désire entretenir une correspondance intellectuelle avec un vieux savant, un homme de lettres ou une célébrité du jour.

Honni soit qui mal y pense. Inutile de répondre si l’on n’a pas un nom connu.

Marquise des H. F.

Écrire par correspondance du dimanche au Figaro. »

 « L’infirme du Luxembourg » a été éconduit par l’élue de son cœur, mais plein d’équanimité, il écrit à « Mlle LAURE DE T. » :

« Votre refus me désole, ma chère enfant, mais il me confirme encore l’excellente opinion que j’ai conçue de vous.
Vous avez raison, jeunesse est plus précieuse que fortune, et vous êtes plus riche de vos 20 ans que moi de mes 80 000 fr. de rente, faites-moi donc l’aumône : épousez de suite votre heureux cousin, sans vous préoccuper davantage des économies à réaliser, cette question me concernera, venez dans ma maison vide me tenir lieu de famille.

En vous traitant, sur tous les plans, comme mes enfants, je vous devrai encore de la reconnaissance, car vous m’aurez préservé de voir : 

“​… L’été sans fleurs vermeilles, La cage sans oiseaux, La ruche sans abeilles, La maison sans enfants”​. »

Tandis que certains messages laissent assez clairement deviner des relations extraconjugales :

« Petite amie chérie ! Trouveras parfois “Figaro” à 9 heures dans ta boite, ce sera correspondance sans danger. Merci de tes lettres et surtout du contenu de la première.

Tu es tout plein gentille. Mais beaucoup trop de considération et manque total de ce que moi je t’envoie toujours ! Méchante ! Écris-moi donc quelques lignes gracieuses. Petite chaise magnifique. Quand puis-je venir ? Rien encore de IL. »

D’autres sont moins sibyllins :

« V. Il a trouvé le gant… sa petite pointure a détourné ses soupçons. Remerciez le ciel de vous avoir donné une main d’enfant. »

Magie de ces petites annonces et preuve de leur popularité, elles permettent parfois à ceux dont les regards se sont croisés de se retrouver :

« La personne qui demande à faire une communication à la dame, montée dans le train, à Asnières, jeudi dernier 2 septembre, n’avait-elle pas un chapeau gris marqué de deux initiales sous une couronne marquise ? Réponse par Figaro de dimanche.

 La dame en question. » 

Plus étonnant, la Petite correspondance semble également le lieu des réclamations maritales :

« Henri.- Je veux t’écrire ce que je n’ose te dire. Pendant que tu risques à ton cercle des sommes considérables, je raccommode le linge des enfants en grelottant, car je n’ai pas de quoi payer la note du chantier et il fait froid la nuit. »

Le succès de cette rubrique devenue incontournable est tel qu’à partir du mois de mai, la rubrique paraît également le jeudi, comme l’annonce Le Figaro :

« Les personnes qui font usage de notre petite correspondance du dimanche lui reprochent de ne paraître que tous les huit jours et se plaignent du trop long intervalle de ses apparitions.

À partir du 6 mai, on trouvera tous les jeudis, à la suite de notre programme des spectacles, un cadre dans lequel nous insérerons une petite correspondance d’une forme et d’un tarif identiques. Ces correspondances seront reçues au Figaro, le jeudi jusqu’à cinq heures. »

Si la Petite correspondance est le lieu des déclarations d’amour et du badinage, le désespoir poussent aussi certains au chantage et à la malveillance :

Bonjour. Un mot ou je casse les vitres, comprends-moi. 

 ÉPOUSE et mère indigne, si je suis fautif, c’est de v. avoir trop aimée, aujourd’hui je v. hais de toutes les forces de mon âme et je saurai bien v. découvrir.

FRÉDÉGONDE. — Tu t’amuses, toi, à Deauville ! On m’écrit que tu la coules douce, que tu es tout le temps en noces et festins ! C’est du joli. Tu m’avais promis d’être sage comme une image. Tu me revaudras ça. — Henri.

Des mots parfois violents que Le Figaro prend très au sérieux, au point qu’il se fend d’une mise au point en mai 1875 :

« Nous prévenons les personnes qui usent de notre Petite Correspondance comme moyen de “chantage ou d’intimidation” que nous conservons la copie de leurs lettres et de leurs avis, en sorte que nous les pourrons produire le jour où un agent autorisé nous en demandera la livraison.

Nous n’entendons pas que notre Petite Correspondance serve à des manœuvres déloyales et à de mauvaises actions. À bon entendeur, salut ! »

La Petite correspondance disparaîtra des pages du journal après une seule année d’existence, en janvier 1876, car comme l’écrit Le Figaro, qui ne s’attendait manifestement pas à susciter tant d’audace et de passion, « le supplément du dimanche peut et doit être un journal de famille, il faut qu’on puisse le laisser sans inconvénient sur la table de chaque salon ».

La rubrique des petites annonces de particuliers se verra définitivement supprimée à la fin des années 1880, laissant toute la place aux annonces immobilières, aux offres d’emploi ou de services…  et de mariage, institution majeure et toujours prise très au sérieux en cette fin de XIXe siècle.

Les petites annonces de cœur auront néanmoins encore de beaux jours devant elle, notamment au cours du siècle suivant.

Brain Pickings – Elizabeth Gilbert on Love, Loss, and How to Move Through Grief as Grief Moves Through You – BY MARIA POPOVA

L’image contient peut-être : texte“Grief is a force of energy that cannot be controlled or predicted. It comes and goes on its own schedule. Grief does not obey your plans, or your wishes. Grief will do whatever it wants to you, whenever it wants to. In that regard, Grief has a lot in common with Love.”

 “All your sorrows have been wasted on you if you have not yet learned how to be wretched,”Seneca told his mother in his extraordinary letter on resilience in the face of loss. One need not be a dry materialist to bow before the recognition that no heart goes through life unplundered by loss — all love presupposes it, be it in death or in heartbreak. Whether what is lost are feelings or atoms, grief comes, unforgiving and unpredictable in its myriad manifestations. Joan Didion observed this disorienting fact in her classic memoir of loss: “Grief, when it comes, is nothing like we expect it to be.”And when it does come, it unweaves the very fabric of our being. When love is lost, we lose the part of ourselves that did the loving — a part that, depending on the magnitude of the love, can come to approximate the whole of who we are. We lose what artist Anne Truitt so poetically termed “the lovely entire confidence that comes only from innumerable mutual confidences entrusted and examined… woven by four hands, now trembling, now intent, over and under into a pattern that can surprise both [partners].”

But we also gain something — out of the burning embers of the loss arises an ashen humility, true to its shared Latin root with the word humus. We are made “of the earth” — we bow down low, we become crust, and each breath seems to draw from the magmatic center of the planet that is our being. It is only when we give ourselves over to it completely that we can begin to take ourselves back, to rise, to live again.

How to move through this barely survivable experience is what author and altogether glorious human being Elizabeth Gilbert examines with uncommon insight and tenderness of heart in her conversation with TED curator Chris Anderson on the inaugural episode of the TED Interviews podcast.

Rayya Elias and Elizabeth Gilbert (Photograph by Elizabeth Gilbert)

Gilbert reflects on the death of her partner, Rayya Elias — her longtime best friend, whose sudden terminal cancer diagnosis unlatched a trapdoor, as Gilbert put it, into the realization that Rayya was the love of her life:

Grief… happens upon you, it’s bigger than you. There is a humility that you have to step into, where you surrender to being moved through the landscape of grief by grief itself. And it has its own timeframe, it has its own itinerary with you, it has its own power over you, and it will come when it comes. And when it comes, it’s a bow-down. It’s a carve-out. And it comes when it wants to, and it carves you out — it comes in the middle of the night, comes in the middle of the day, comes in the middle of a meeting, comes in the middle of a meal. It arrives — it’s this tremendously forceful arrival and it cannot be resisted without you suffering more… The posture that you take is you hit your knees in absolute humility and you let it rock you until it is done with you. And it will be done with you, eventually. And when it is done, it will leave. But to stiffen, to resist, and to fight it is to hurt yourself.

With an eye to the intimate biological connection between the body and the mind (which is, of course, the seedbed of feeling), Gilbert adds:

There’s this tremendous psychological and spiritual challenge to relax in the awesome power of it until it has gone through you. Grief is a full-body experience. It takes over your entire body — it’s not a disease of the mind. It’s something that impacts you at the physical level… I feel that it has a tremendous relationship to love: First of all, as they say, it’s the price you pay for love. But, secondly, in the moments of my life when I have fallen in love, I have just as little power over it as I do in grief. There are certain things that happen to you as a human being that you cannot control or command, that will come to you at really inconvenient times, and where you have to bow in the human humility to the fact that there’s something running through you that’s bigger than you.

Illustration from Cry, Heart, But Never Break, a Danish meditation on love and loss

Gilbert goes on to read a short, stunning reflection on love and loss she had originally published on Instagram:

People keep asking me how I’m doing, and I’m not always sure how to answer that. It depends on the day. It depends on the minute. Right this moment, I’m OK. Yesterday, not so good. Tomorrow, we’ll see.

Here is what I have learned about Grief, though.

I have learned that Grief is a force of energy that cannot be controlled or predicted. It comes and goes on its own schedule. Grief does not obey your plans, or your wishes. Grief will do whatever it wants to you, whenever it wants to. In that regard, Grief has a lot in common with Love.

The only way that I can “handle” Grief, then, is the same way that I “handle” Love — by not “handling” it. By bowing down before its power, in complete humility.

When Grief comes to visit me, it’s like being visited by a tsunami. I am given just enough warning to say, “Oh my god, this is happening RIGHT NOW,” and then I drop to the floor on my knees and let it rock me. How do you survive the tsunami of Grief? By being willing to experience it, without resistance.

The conversation of Grief, then, is one of prayer-and-response.

Grief says to me: “You will never love anyone the way you loved Rayya.” And I reply: “I am willing for that to be true.” Grief says: “She’s gone, and she’s never coming back.” I reply: “I am willing for that to be true.” Grief says: “You will never hear that laugh again.” I say: “I am willing.” Grief says, “You will never smell her skin again.” I get down on the floor on my fucking knees, and — and through my sheets of tears — I say, “I AM WILLING.” This is the job of the living — to be willing to bow down before EVERYTHING that is bigger than you. And nearly everything in this world is bigger than you.

I don’t know where Rayya is now. It’s not mine to know. I only know that I will love her forever. And that I am willing.

Onward.

Gilbert adds in the interview:

It’s an honor to be in grief. It’s an honor to feel that much, to have loved that much.

Rayya Elias and Elizabeth Gilbert (Photograph courtesy of Elizabeth Gilbert)

Complement with life-earned wisdom on how to live with loss from other great artists, writers, and scientists — including Alan Turing, Albert Einstein, Abraham Lincoln, Rachel Carson, Charles Darwin, Johannes Brahms, and Charles Dickens — and the Stoic cure for heartbreak from Epictetus, then revisit Gilbert on creative bravery and the art of living in a state of uninterrupted marvel.

L’OBS – Colonialisme : quand Zola confondait le Maroc et la Tunisie – Par Alain Ruscio

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Portrait du romancier Emile Zola

TRIBUNE. L’Empire colonial français était en fait très mal connu… des Français eux-mêmes. L’historien Alain Ruscio s’est penché sur les plus belles perles de nos concitoyens depuis le XVIIIème siècle.

Emile Zola qui confond le Maroc et la Tunisie, Paul Claudel qui situe l’Egypte en Asie, Cayenne décrite comme une île du Pacifique, le Maghreb placé à côté du Tonkin, Roland au clairon devenu héros de la conquête de l’Algérie, deux français sur dix incapables de citer le nom d’une colonie après-guerre… L’historien Alain Ruscio s’est penché sur les connaissances des métropolitains en matière de colonies du temps de l’Empire français. Son verdict est sans appel. Les Français ne savaient en fait que très peu de choses.

Un historien de la littérature constate qu’au XVIIIème siècle « on distinguait mal l’Arabe du Turc, et plus d’un Français put croire de bonne foi que le temple de La Mecque se dressait aussi près du sérail de Constantinople que la Sainte-Chapelle l’était du Louvre » (Pierre Martino, Les Arabes dans la comédie et le roman du XVIIIème siècle, 1905).

Au XIXème siècle, guère de progrès : « Des populations entières, on peut même dire toutes celles de nos campagnes, se succèdent sans avoir la moindre notion des rivages lointains où de courageux compatriotes prolongeraient pour ainsi dire la France, sans savoir le nom de nos Antilles, du Sénégal, de nos récentes colonies du Pacifique, de la Cochinchine, du Mexique, de Madagascar qui est encore à faire, seront moins impopulaires en France si on savait mieux parmi nous de quel pays s’agit-il, et si par conséquent instruit de leurs ressources et des avantages de leur situation, on se sentait plus apte à en profiter » (Maurice La Chesnais, Revue du monde colonial américain et asiatique, avril-juin 1864) .

Ernest Feydeau, le père du dramaturge, visite à cette époque l’Algérie. Il déplore : « Pour la plupart des habitants de l’Europe, l’Algérie est un peu moins connue que la Chine » (Alger, 1862) .

Un pilier du parti colonial (il est vrai alors en gestation) constate, amer : « Les colonies françaises sont presque inconnues en France ! Combien peu de personnes savent même le nombre de nos colonies ! Et sur le détail de leur géographie, de leur histoire, de leurs productions, de leur commerce, de leur administration, l’ignorance est plus grande encore. Le malheur est que, dans nos collèges, on ne s’occupe pas plus de l’étude de nos colonies que si elles n’existaient pas, malgré le haut intérêt qui s’y rattache à tous les points de vue » (J. Rambosson, Les colonies françaises, 1868).

« Qui de nous, après avoir terminé ses études et obtenu le diplôme de bachelier, était bien sûr, il y a dix ans, de pouvoir énumérer toutes les colonies françaises ? » (J.-T. Coffin, Des colonies et de l’Afrique centrale, 1879) .

 « Sur mille citoyens, il n’y en a peut-être pas deux qui sachent au juste dans quel but, dans quel intérêt, on se jette en ces aventures, et pourquoi l’on s’y obstine. Les copieuses explications de la presse, les discussions cicéroniennes du Parlement n’instruisent à cet égard que le très petit nombre. À l’heure qu’il est, vous rencontrerez beaucoup d’esprits -je parle des plus attentifs » qui n’ont encore rien compris aux causes fort obscures, du reste, et fort embrouillées de l’expédition de Madagascar » (François Coppée, Guerre lointaine, 29 novembre 1894) .

« Des endroits où l’on envoie les mauvais sujets pour les faire manger par les anthropophages »

Adolphe Messimy, Saint-Cyrien, député, puis sénateur (radical), rapporteur du budget des Colonies, se fit une spécialité de dénoncer la faible part de la question coloniale dans l’enseignement en métropole. En 1911, son interpellation au ministre fait peut-être sourire certains : « La plupart des élèves se figurent que nos colonies sont des endroits où l’on envoie les mauvais sujets pour les faire manger par les anthropophages » (Chambre des députés, 21 février 1911). Dix jours plus tard, le 2 mars, il devient ministre des Colonies (Cabinet Ernest Monis). Va-t-il appliquer ses idées ? Malheureusement, le Cabinet est très éphémère (il chute le 23 juin). Par la suite, Messimy s’en tient à son idée fixe. Seize ans après une première interpellation, il écrit au ministre de l’Instruction publique, Édouard Herriot : « L’ignorance de la plupart des Français en matière coloniale est l’un des plus grands obstacles qui s’opposent à la mise en œuvre des richesses latentes de nos possessions lointaines » (Le Temps, 24 janvier 1927). Il brosse ensuite un tableau désolé de la place des questions coloniales dans les programmes scolaires, puis demande au ministre quelles mesures il compte prendre pour remédier à ce fait.

Mais c’était peine, semble-t-il, perdue. En 1931, durant six mois pleins, plus de 8 millions de visiteurs firent le voyage de l’Exposition de Vincennes. Les tenants de la présence française aux colonnes exultaient : les Français avaient enfin l’esprit colonial ! Pas certain du tout, répliquait, réaliste, un journaliste spécialisé : « Au lendemain de Vincennes, le Français ne saura pas où c’est, mais il saura que ça existe » (Pierre Mille, 1931) .

La Chine citée parmi les colonies françaises 

Du 21 novembre au 31 décembre 1949, l’INSEE procède à un sondage national d’une ampleur exceptionnelle (21 questions expédiées à 4.193 personnes tirées au sort dans 200 communes ; 3.000 réponses anonymes furent retenues), que l’on pourrait appeler la France profonde . Jamais enquête n’avait été menée, sur ces questions, de façon si approfondie, avec des méthodes modernes. L’enjeu était de taille : alors que se profilait une décolonisation à laquelle la France officielle tentait de résister par tous les moyens, il s’agissait de savoir 1/ ce que savaient ; 2/ ce que pensaient les Français de l’Empire.

Une modeste livraison, à couleur bistre-marron, du très officiel Bulletin mensuel de Statistique d’outre-mer, publication conjointe du Ministère des Finances et du Ministère de la France d’outre-mer, publia les résultats .

La première question du sondage de 1949 était toute simple : Pouvez-vous citer le nom de possessions françaises outre-mer ? On aurait pu penser que l’Algérie, les Antilles, La Réunion, départements, que l’Indochine, alors en guerre depuis trois ans, que la Tunisie, le Maroc, le Sénégal, la Côte d’Ivoire… étaient devenus des noms familiers aux oreilles des Français… Il n’en était rien. Deux sondés sur 10, précisément 19 %, ne pouvaient citer aucun nom ; une deuxième tranche de 19 % avançait un ou deux noms. À l’opposé, les bons élèves, capables d’après les sondeurs de citer cinq pays ou plus, n’étaient que 28 %. Parmi ces pays cités, l’Algérie arrivait cependant en tête, avec 39 % des sondés, devant le Maroc, 38 %, et l’Indochine, 35 %. Mais les DOM étaient particulièrement mal lotis : Martinique, 7 % ; Guadeloupe, Réunion, Guyane, 4 % -certains se réfugiant derrière un prudent Antilles (3 %). Les sondeurs ajoutaient, mi-amusés, mi-excédés, que la Corse, la Syrie-Liban, Haïti, le Siam, la Palestine et même… la Chine figuraient parmi les réponses. À une question plus difficile, l’estimation de la population totale des possessions françaises (alors Union française), un Français sur deux ne savait répondre, 14 % avançaient le chiffre slogan du Parti colonial : 100 millions.

Une remarque au passage : ces mêmes Français qui ignoraient globalement leur Empire… étaient plutôt satisfaits de son bilan. À la question : La France a-t-elle bien travaillé dans les Territoires d’outre-mer ?, presque la moitié, 45 %, répondaient positivement, 22 % répondaient : Cela dépend. Si l’on additionne les 45 % de Oui et ne serait-ce que la moitié des Ni oui-ni non, on parvient donc à une majorité absolue.

Ce sont les enfants de cette France-là que les gouvernants de la IVème République vont envoyer faire les guerres de décolonisation, en Indochine -où il n’y avait certes que des engagés- puis en Algérie. En 1957, un sondage est effectué auprès des jeunes soldats en partance, justement, pour ce second conflit. Diverses questions sont posées. À la première, « Combien y a-t-il de Français installés en Algérie ? », 70 % répondent par des chiffres variant entre 30 et 60.000. La seconde question porte sur la distance à parcourir entre Marseille, lieu d’embarquement, et Alger ; les réponses vont de 100 à 5.000 km, la moyenne des réponses se situant autour de 3.000 ; enfin, 15 à 20 % des recrues pensent que l’Algérie est au sud du Sahara…

Alger en 1939 (AFP)

La pagode d’Angkor dotée d’un minaret

Un livre entier ne suffirait sans doute pas pour relever tous les contre-sens, erreurs, approximations, concernant la géographie et l’histoire coloniales. Parfois, les auteurs étaient de simples et braves citoyens. D’autres fois, des responsables politiques, des intellectuels, des journalistes dirent ou écrivirent des bourdes plus difficilement excusables…

Curieux usage du mot Minaret dans une description de l’espace colonial de l’Exposition universelle de 1889 : « Près de là s’élève la pagode d’Angkor (…) ; le minaret a déjà ses longs anneaux d’or qui se détachent sur un fond pourpre » (L’Univers illustré, 27 avril 1889) .

Une scène contée par Alphonse Allais est certes sortie de l’imagination fertile de l’humoriste, mais elle n’est pas invraisemblable :
« Je me promenais dans la fête de Montmartre, quand une baraque attira mes regards. On y montrait, disait l’enseigne : “La belle Zim-laï-lah, la seule véritable Exotique de la Fête“. Dans la foule, une jeune femme du peuple, appuyée sur le bras d’un robuste travailleur, demanda à ce dernier :
De quel pays que c’est, les Exotiques ?
Les Exotiques ?… C’est du côté de l’Algérie, parbleu !… en tirant un peu sur la gauche.
La jeune femme du peuple jeta sur le vigoureux géographe un long regard où se lisait l’admiration » (Tickets, 1891).

Le robuste travailleur d’Allais est surpassé dans la confusion par un auditeur, interrogeant un conférencier (propos rapportés par celui-ci, outré) : « Vous allez en Tunisie, c’est tout près du Tonkin ? » (Eugène de Montureux, Voyage en Tunisie, 6 mars 1910) .

De la même façon, on peut s’interroger sur la maîtrise du vocabulaire géographique d’un auteur, écrivant pourtant dans une revue culturelle : « Le Maroc, avec l’Algérie, la Tunisie et la Tripolitaine, fait partie de cette Algérie septentrionale à laquelle le voisinage de la Méditerranée a donné de tout temps, et donne surtout, à notre époque, une si grande importance » (Max de Nantousy, Les Annales Politiques et Littéraires, 1er janvier 1911) .

La conquête de l’Algérie avec Roland au clairon

Attristé, effondré, un mensuel du pourtant actif lobby colonial constate : « Au dernier concours d’entrée à Saint-Maixent, le sujet choisi pour la composition d’histoire était : “L’expansion coloniale de la France au dix-neuvième siècle“. Les compositions furent, dit-on, assez ternes. Un candidat affirma que Saigon avait été conquise par le lieutenant de vaisseau Savorgnan de Brazza. Un autre ne craignit pas d’avancer que Jules Ferry, en 1815, envoya une mission pour découvrir le Canada. Pour un troisième, Cayenne est une grande île du Pacifique. Son voisin, d’ailleurs, écrivait qu’à la conquête du Mexique, lors de l’entrée triomphale des Français à Québec, le duc de Montcalm trouva une mort glorieuse. Enfin à propos de la conquête de l’Algérie, on a pu recueillir cette magnifique perle : “Le plus bel épisode de la conquête de l’Algérie, affirme un concurrent, est l’histoire touchante du clairon Roland qui, abandonné dans un défilé, sonna jusqu’à la mort pour appeler du secours contre les Infidèles“ » (Le Monde Colonial Illustré, octobre 1924).

Un comble de la confusion fut sans doute atteint avec la carrière de Joséphine Baker. Que cette native du Missouri, à l’accent américain prononcé, soit devenue tour à tour une Petite Tonkinoise (chanson de 1906 qu’elle reprit en 1930 pour lui assurer un succès universel), une négresse de la savane (J’ai deux amours), ou une petite sauvageonne tunisienne (film d’Edmond Gréville, Princesse Tam-Tam, 1935) est un signe qui ne trompe pas. Le comble fut sans doute atteint en 1931 avec son élection au titre de Reine des colonies, dont on ne sait s’il s’est agi d’un vrai projet, d’un canular ou d’un coup de publicité… « Des impresarios habiles ont promu Joséphine Baker reine des Colonies françaises. La nouvelle n’en a été connue par le commissariat général de l’Exposition que lorsque la presse l’a unanimement publiée. Cela a fait scandale. Allait-on laisser couronner du diadème colonial une grande artiste, certes, mais qui est née dans un faubourg de Saint-Louis, sur les rives du Mississipi ? L’alerte a été chaude. Enfin, la paix s’est faite lorsque les délégués officiels, envoyés par le gouverneur Olivier à l’étoile noire, ont reçu, d’elle-même, l’assurance qu’elle acceptait de renoncer à la couronne…  » (Voilà, l’hebdomadaire du reportage, 2 mai 1931) . Le Canard enchaîné conta cet événement de façon plaisante : « À l’heure des discours, Melle Joséphine Baker, toute charmante dans sa parure de reine, tenant d’une main son sceptre d’or et de l’autre une plume de paon, a remercié en, termes de choix M. Auguste Sabatier   et toute l’assistance pour le grand honneur qu’on lui faisait : “Moi y en avoir plaisir beaucoup avec missi Sabati. Moi lui apprendre danse du ventre et roulis-roulis et pilou-pilou et tout. Missi Sabati, grand députi, grand ministre, grand gentleman, grande intelligence, grand cerveau, missi Sabati. Aoh yes !“ » (Drégerin, Le Canard enchaîné, 11 mars 1931) .

Dans sa volonté de prouver à toute force que la métropole a toujours voulu abandonner l’Algérie, un écrivain pied-noir écrit : « Le maréchal Bugeaud (…) propose même à l’Empereur d’abandonner cette terre d’Algérie » (Raphaël Delpart, L’histoire des Pieds-Noirs d’Algérie, 2002) . Or, Bugeaud a été envoyé en Algérie par la Monarchie de juillet. Mort en 1849, il n’a pu, et pour cause, s’opposer à Napoléon III, parvenu sur le trône — de la façon que l’on sait — en 1851. Ce même Bugeaud, décidément bien mal traité par les apprentis historiens, est censé avoir dit au roi Charles X, en février 1848, qu’il mettait son sabre à sa disposition, « ce sabre dont il se servit à Isly, contre les Kroumirs » . Or, si le maréchal combattit bien à Isly, ce fut contre les Marocains, et non contre les Kroumirs, tribu tunisienne. Leurs incursions, qui servirent de prétexte à l’intervention française en Tunisie, datent de 1881, soit 32 années après la mort de Bugeaud.

Récit d’un voyage du général de Gaulle en province, au lendemain de la Libération. Le sultan du Maroc, décoré pour sa fidélité à la France durant l’occupation nazie, accompagnait le Général. Georges Pompidou, alors chargé de mission, se souvient : « J’eus la joie de parcourir avec lui mon Auvergne natale à travers laquelle nous promenions le sultan du Maroc et sa suite, dans laquelle se distinguait la figure d’aigle du Glaoui. Il me souvient d’un brave paysan du Cantal criant sur la parcours des notabilités marocaines : “Bravo les nègres !“, exclamation enthousiaste dont je doute pourtant qu’elle fût de nature à satisfaire qui que ce soit » (Pour rétablir une vérité, 1988).

Lors des négociations de La Celle Saint-Cloud, qui devaient préluder à l’indépendance du Maroc, un délégué marocain eut la surprise de s’entendre demander (anecdote rapportée par Raymond Dronne  qui, par charité sans doute, ne donne pas le nom du délégué) : « Nous vous donnerons tout ce que vous voudrez, mais laissez-nous Bizerte » (novembre 1955) .

Emile Zola situe Tunis au Maroc

Zola ironise sur l’aventure d’un imposteur qui avait quelque temps défrayé la chronique en se présentant comme de sang royal marocain. Mais l’auteur confond manifestement Maroc et Tunisie… « Ce sieur Joly n’était point un imbécile. Il s’est fait prince héréditaire du Maroc, en homme qui savait que les princes poussent dans ce pays aussi nombreux que les épis des champs. Il y a, à Tunis, deux cents, trois cents princes héréditaires… » (Un prétendant au trône du Maroc, 1872) .

Dans un des contes d’Anatole France, son personnage principal, Louis Longuemare, semble confondre assez allègrement la Cochinchine (sud du Viêt Nam) et la région de Shangai… « C’est sur ma demande que je suis mis hors cadre et détaché comme stagiaire en Cochinchine (…). Je ne verrai plus le Boulevard St Michel. Je trouverai à Shangai des monuments ostéologiques d’après lesquels j’achèverai mon mémoire sur la dentition des races jaunes » (Jocaste, 1878).

En 1881, Maupassant fait, pour le quotidien Le Gaulois, un voyage en Algérie. Il envoie un article, prétendument rédigé par un « homme très considérable de l’Algérie, et qui l’habite depuis longtemps » (en fait, l’article état bien de la plume de l’écrivain). Or, ce vieux colonial écrit une phrase étrange : « J’ai vécu pendant des années au milieu des Arabes et surtout au milieu des Kabyles…  » (Lettres d’Afrique, 1881) .

Et Paul Claudel pense que l’Egypte est en Asie

À la toute première ligne d’un de ses ouvrages, Paul Claudel semble bien situer l’Égypte en Asie… « L’Asie est le pays de ce qu’on appelle les Nations Ermites, telles que l’Égypte et la Mésopotamie nous en ont fourni les exemples les plus anciens…  » (Sous le signe du dragon, vers 1904).

Son collègue Académicien André Maurois trouve que les jeunes Français n’ont pas assez le sens colonial. Il décide d’écrire un ouvrage de vulgarisation, magnifiquement illustré, dans une grande collection de chez Hachette. Hélas ! ses connaissances géographiques sont imprécises : « Au nord de l’Indochine, le Tonkin attirait l’attention des commerçants français parce que c’était là que se jetait, dans l’Océan Indien, le Fleuve Rouge… » (L’Empire français, 1939).

Des touristes sur le canal de Suez. Photo non datée. AFP

Même la haute administration ne connaît rien aux colonies 

Le haut personnel politique métropolitain n’était, semble-t-il, pas toujours bien au fait des questions coloniales. En tout cas s’il faut en croire la remarque d’un Directeur de la Compagnie française de l’Afrique occidentale sur André Maginot, tout nouvellement nommé ministre des Colonies : « Bien entendu, il n’entend rien aux Colonies, ce qui ne le distingue d’ailleurs pas beaucoup de la plupart de ses prédécesseurs » (Frédéric Bohn, Lettre, 20 mars 1917).

Par contre, il convient de tordre le cou à une légende solidement ancrée. En 1905, Étienne Clémentel nouvellement nommé ministre des Colonies, aurait observé une carte, émaillé des fameuses taches roses, en arrivant dans son bureau , se serait écrié : « Les colonies, je ne savais pas qu’il y en eût tant ! ». Les historiens les plus sérieux ont parfois repris cette citation. On la retrouve même dans des sites spécialisés de révision du bac… Mais le doute vient lorsqu’on constate qu’elle n’est jamais référencée. Ce seraient les volontés réformatrices de ce ministre qui lui auraient attiré l’hostilité du lobby colon, à l’origine de cette rumeur .

« Ô vous Habitants d’Alger et de toutes les tribus marocaines » 

Il fallait que l’ère de la Seconde colonisation fût inaugurée par une confusion significative… Ce fut chose faite avec la toute première proclamation du Comte de Bourmont, commandant en chef du Corps expéditionnaire en Algérie. Cette proclamation, rédigée en France en mai 1830, confond allègrement habitants de la régence d’Alger et Marocains : « Ô vous, les plus chers de nos sincères amis, habitants d’Alger et de toutes les tribus marocaines, dépendant de vous, sachez que le pacha votre chef a eu l’audace d’insulter le drapeau de la France (…). Tribus des Marocains, sachez bien et soyez pleinement convaincus que je ne viens pas pour vous faire la guerre… » (Comte de Bourmont, Proclamation, mai 1830) . Le rédacteur de la Revue Africaine, qui citait bien plus tard cette proclamation, accompagna cette approximation du commentaire suivant : « En se servant du mot “Mar’âriba“, le rédacteur de ce document a cru dire les “Maugrebins“, les habitants du Magreb, ignorant que dans l’usage vulgaire il se prend toujours pour désigner les Marocains ».

N’y a-t-il aucune ligne de chemin de fer qui traverse la Kabylie ? 

Paul Bonnetain, une des plumes du Parti colonial, s’étouffait de rage en constatant que les futurs hussards noirs de la République ne connaissent pas le domaine ultramarin :
« On sait qu’on a fait appel aux instituteurs pour créer de nouvelles écoles en Kabylie. Les appointements doivent être de 3.000 francs. Alléché par ce chiffre, un instituteur du midi de la France a envoyé à un de ses parents habitant l’Algérie un questionnaire de dix-huit articles (!) parmi lesquels nous citerons les suivants :

Y a-t-il un bon nombre d’instituteurs dans la province de Kabylie ?

Les maisons d’école sont-elles construites ou à l’état de construction convenable, et les jardins spacieux ?

Les habitants sont-ils bien civilisés et quel est le chiffre des indigènes et des colons ?

Y a-t-il des routes et des chemins aussi nombreux qu’en France ?

L’eau est-elle abondante et potable ?

Le climat y est-il chaud, tempéré et sain ?

Les indigènes respectent-ils les lois du pays et n’ourdissent-ils pas des conspirations contre la France ?

Les tribus qui y sont établies ne veulent-elles pas faire partie de celles qui se sont insurgées ?

Le pays est-il montagneux, cultivé ou en friche ?

Y aurait-il moyen d’obtenir des concessions de terrain ?

Le nombre des médecins, pharmaciens, épiciers est-il proportionné à la population, comme en France, par exemple ?

N’y a-t-il pas d’animaux dangereux ?

Les marchands de meubles et ébénistes sont-ils nombreux ?

Le post-scriptum vaut son pesant d’or :

N’y a-t-il aucune ligne de chemin de fer qui traverse la Kabylie ?

Des tailleurs, y en a-t-il ?

Quand un instituteur chargé d’enseigner la géographie à des enfants français fait de pareilles questions sur l’Algérie, on devrait le renvoyer lui-même à l’école. Comment veut-on que l’Algérie soit connue du gros du public, quand un instituteur – vous lisez bien : un instituteur ! – fait preuve d’une aussi honteuse ignorance ? Et comment s’étonner après cela de l’indifférence de nos populations ouvrières et surtout rurales à l’endroit de notre colonie africaine ? » (Comment on connaît l’Algérie en France, 1881).

Il ne fallait pas compter sur la presse pour approfondir les connaissances : « Algérie-Tunisie. La population indigène est composée de Berbères ou Arabes, de Kabyles et de Maures » (Jean de Giafferri, L’Animateur des Temps nouveaux, 18 septembre 1931).

Les résultats inévitables étaient déplorés par Camus, de retour de son pays natal après le terrible drame de Sétif : « L’enquête que je rapporte d’un séjour de trois semaines en Algérie n’a d’autre ambition que de diminuer un peu l’incroyable ignorance de la métropole en ce qui concerne l’Afrique du Nord… » (Combat, 13 mai 1945) .

Le terreau était prêt pour que les exactions de la guerre d’Algérie se déroulent dans une indifférence de la majorité de l’opinion.

Mais où est la Cochinchine ? 

En 1857, le Second Empire envisage la conquête de l’Annam (nom ancien du Viêt Nam). Le comte Walewski, ministre des Affaires étrangères, met en place une Commission chargée d’analyser la faisabilité du projet . Aucun des membres de la commission n’est allé dans la région, les seules informations provenant des missionnaires sur place. Aussi ne faut-il pas s’étonner des approximations géographiques des conclusions : « La Commission réunie au ministère des Affaires étrangères a proposé l’occupation des trois villes principales de la Cochinchine ou, pour s’exprimer d’une manière plus exacte, de l’Empire d’Annam qui se compose du royaume de la Cochinchine proprement dit, du royaume du Tonquin, du royaume du Cambodge et d’autres contrées moins importantes. Les trois villes qu’il s’agirait d’occuper sont : Hué, capitale du royaume de Cochinchine ; Ketcho, capitale du royaume du Tonquin ; Saïgon, capitale du royaume du Cambodge » (Rapport, mai 1857) . Fort de ces conclusions, pourtant, Walewski présente le projet à ses collègues : « J’ai parlé au Conseil des ministres de la Cochinchine, mais la question cochinchinoise n’a pas trouvé faveur auprès de mes collègues. Fould  d’abord nous a dit qu’il ne savait pas où était la Cochinchine, ni ce que c’était…  » (Lettre à Napoléon III, 16 juillet 1857) .

Lors de la chute de Saigon entre les mains françaises, un grand quotidien d’information explique à ses lecteurs où se situe cette ville : « Quelques détails sur la ville de Saïgon qui vient de tomber au pouvoir des Français, secondés par les Espagnols. Saïgon est la capitale du royaume de Camboge qui, avec le royaume du Tonquin et celui de la Cochinchine proprement dite, forme le vaste empire d’Annam. Le royaume de Camboge offre de grandes ressources par sa richesse et sa fertilité ; on le considère comme le grenier de la Cochinchine » (Le Journal des Débats, 18 avril 1859) .

Une rue de Saïgon en 1945 (AFP)

Le temps ne fait rien à l’affaire : « Allez donc demander à nos jeunes bacheliers l’histoire des motifs politiques et économiques qui ont conduit la France et l’Angleterre à créer des établissements en Asie. Combien seront capables de vous dire seulement quelques mots sur ce sujet. Ces matières n’entrent pas dans le programme du mémento (…). Pourtant, comme elle aurait été de tout temps nécessaire à notre jeunesse, cette connaissance de la chose coloniale qui eût pu nous éviter le rappel de Dupleix, les ligues anti-tonkinoises et l’ignorant pédantisme des adversaires actuels de notre Indo-Chine » (L’Avenir du Tonkin, août 1901) .

Lors de l’Exposition universelle de Paris, en 1900, une partie est consacrée aux colonies françaises. Un Guide, sous prétexte d’aider le public, doit singulièrement obscurcir les esprits : « Commençons la visite par la Section française. Rappelons que le Tonkin, le Cambodge et l’Indo-Chine sont décrits sous le titre général Indo-Chine. » (Paris-Exposition, 1900) .

La presse de métropole était régulièrement épinglée par les vrais connaisseurs de la région.

« On est stupéfait, quand on lit les journaux de cette époque (je parle de ceux généralement considérés comme bien renseignés), de l’ignorance où l’on était des choses de l’Extrême-Orient. On en ignore même la géographie ; c’est au point que dans l’un d’eux que j’ai sous les yeux, il est question de “M. Lao-kaï“. Je me rappelle qu’un jour un des ministres les plus remarquables de la III è République, auquel je parlais du Yun-nan, me demanda si le Yun-nan était une province annamite » (Jean Dupuis, Le Tonkin de 1872 à 1886, 1910) .

Ainsi cette notice nécrologique, relevée avec rage et ironie par Louis Bonnafontin qui signait souvent Le Nha Qué , confondant allègrement l’épidémie de fièvre dengue et une ville inventée : « M. Destenay, résident supérieur, secrétaire général intérimaire de l’Indo-Chine, malade à Dengué, depuis cinq jours, est mort avant-hier soir à Hanoï, à la suite d’une aggravation subite » (Le Figaro, 11 juin 1915) .

Compte-rendu d’une journée passée par Paul Reynaud, ministre des colonies, au Tonkin. Langson (ou Lang Son) est près de la frontière sino-vietnamienne : « Le dimanche 8 novembre, M. Reynaud alla jusqu’à Langson (…) tandis que quelques-uns de ceux qui accompagnaient le ministre poussèrent jusqu’à la Muraille de Chine » (Raymond Lestonnat, L’Illustration, 12 décembre 1931) … laquelle muraille, on le sait — ou on devrait le savoir — est à l’autre extrémité de la Chine, au nord de Pékin).

Il est vrai que sa collègue, une journaliste, avant de commencer une envolée lyrique sur la construction du Pont Doumer, raconte cette anecdote : « Au mois de mars 1897, Paul Doumer, nommé gouverneur général, arriva devant Hanoï. Il venait de Haïphong. Les voitures officielles n’avaient pu descendre au débarcadère battu par les eaux rougeâtres et troubles du Mékong » (Henriette Célarié, Promenades en Indochine, 1937) . Elle devait ignorer que c’est le Fleuve Rouge qui traverse Hanoi.

L’Indochine, le pays des bons sauvages 

Aussi peut-on croire sur parole le grand érudit Louis Malleret lorsqu’il écrit : « Il manque à l’opinion française une éducation asiatique (…). En 1931, au moment où les foules affluent à Vincennes, on a pu lire dans de grands journaux que la prodigieuse cité d’Angkor appartient au Siam, qu’un cyclone a ravagé Poulo-Condore ”possession américaine“ et, sous des photographies représentant d’authentiques Cochinchinoises, trouver l’éloge de “belles Japonaises“ visitant l’Exposition (…). Aujourd’hui encore, il n’est pas sûr que les lecteurs français ne se représentent l’Indochine comme le pays des bons sauvages chers à Bernardin de Saint-Pierre, comme une contrée favorisée de tous les dons de la nature, aux arbres partout gigantesques, au ciel éclatant, au soleil magicien » (L’exotisme indochinois dans la littérature française, 1934) .

 Dans son désir de prouver à toute force l’ampleur du dévouement des savants français outre-mer, un journaliste royaliste alla jusqu’à faire mourir prématurément le pauvre Yersin : « Beaucoup laissèrent leur existence dans cette entreprise. Yersin, par exemple, mourut de la peste dont il venait de découvrir le microbe » (Claude Quevenay, L’Action française, 10 août 1936) . Or, Yersin, bien que très âgé, était alors en parfaite santé. Il mourut de vieillesse et non de la peste, en 1943.

L’un des personnages d’Aragon se remémore ses sentiments d’enfance, au début du siècle : « Tiens, je repense au cousin Louis… Quand il était enfant, lui, c’est-à-dire avant qu’il vienne étudier à Paris, il habitait Haiphong, son père était dans les douanes. On recevait des cartes postales : “Bons baisers de Haiphong“… ou des vues de la baie d’Along pendant les vacances, moi, ce qui m’intéressait surtout, c’étaient les timbres-poste. Cela me paraissait absolument naturel que l’oncle fût dans les douanes à Haiphong, comme il avait été à Bellegarde, à la frontière suisse. L’lndo-Chine, nous disions l’lndo-Chine alors, cela devait ressembler à la Savoie… à part qu’on y cultivait surtout le riz, paraît-il. » (Blanche ou l’Oubli, 1967) .

Dans le même ordre d’idées, récit cocasse, par un diplomate cultivé, des bourdes d’un homme politique aux connaissances géographiques imprécises. « Signature à l’Elysée du traité avec le Laos (…). Le déjeuner qui suivit ne parut guère folâtre et la réception, ce soir, à Versailles, ne l’était pas non plus. Le personnage comique en fut notre hôte, M. Boisdon, Président de l’Assemblée de l’Union française. Notaire berrichon devenu speaker d’un parlement noir, blanc et jaune, il dissémina ses gaffes sur les continents asiatique et africain. Aujourd’hui, la langue ne cessait de lui fourcher. Il félicita le roi du Laos, d’abord de l’endurance de ses sujets annamites, puis de la beauté des montagnes du Cambodge… » (Jacques Dumaine, Journal, 19 juillet 1949) .

En Indochine, dans les rue de Hanoi en 1939. (AFP)

Il y a des cocotiers et des noirs réputés anthropophages 

Remarque du Gouverneur de Nouvelle-Calédonie : « En France, une opinion publique très insuffisamment avertie de ce qu’est la Nouvelle-Calédonie (…) ignore à peu près tout de notre beau pays. On ne la connaît guère encore que sous le nom de “La Nouvelle“, et comme il y a des cocotiers et des noirs réputés anthropophages, on en fait quelque chose de semblable au Congo, mais infiniment plus petit sur la carte et par conséquent insignifiant » (Joseph Guyon, Rapport devant le Conseil général, Nouméa, 1925) .

Un archiviste français célèbre, qui a fait une partie de sa carrière à La Réunion, note avec humour : « Les Français de la métropole, peu instruits, ne s’y reconnaissent pas entre Mascareigne, La Réunion, Bourbon et l’île Bonaparte, auxquelles ils mélangent encore Maurice et l’île de France, n’ayant qu’une idée précise à propos de toutes ces îles, c’est qu’elles font sûrement partie des Antilles… » (Yves Pérotin, Chroniques de Bourbon, 1957) .

Même constatation désabusée sous la plume d’André Blanchet, reporter au Monde, à propos de La Réunion : « Paris ne semble pas s’intéresser aux affaires courantes de ce département sans doute trop lointain -si lointain que bon nombre de fonctionnaires ne sauront jamais le localiser sur la mappemonde. Ignorée géographiquement, La Réunion reçoit souvent son courrier administratif “via New York“, sans doute parce qu’on la croit une des Antilles » (André Blanchet, Le Monde, 27 janvier 1949) .

Conclusion désabusée d’un observateur des réalités post-coloniales dans les DOM-TOM, inventeur par ailleurs de l’expression Confettis de l’Empire : « L’indifférence de l’opinion “éclairée“ à l’égard de nos poussières d’empire a été dénoncée ici. Au niveau de l’homme de la rue, elle confine à l’ignorance la plus épaisse. Le Français moyen, celui du métro, de l’épicerie, de la terrasse de café, manifeste une sorte de “bon sens“ instinctif. Pour lui, les choses sont désormais assez simples : depuis longtemps, la France n’a plus de colonies. Voilà tout. Spontanément il considérera n’importe quel Noir croisé dans la rue comme le citoyen d’un jeune État indépendant (…). “Partout où je vais, nous disait un jeune intellectuel de Cayenne, à la poste, à la gare et même dans les administrations, on me demande souvent mon passeport quand je dis que je suis guyanais. Lorsque je réponds que la Guyane est encore un département français, on me regarde avec une pointe de suspicion“. Le même genre de mésaventures arrive quotidiennement aux Antillais ou aux Réunionnais » (Jean-Claude Guillebaud, Les confettis de l’Empire, 1976) .

*Alain Ruscio, 71 ans, est historien, spécialiste de la période coloniale. Il a publié de nombreux ouvrages, dont « Nostalgérie. L’interminable histoire de l’OAS » (La Découverte, 2015) et travaille actuellement à la coordination d’une « Encyclopédie de la colonisation française » (Les Indes Savantes), dont les deux premiers volumes sont déjà parus. En février, il publiera à La Découverte : « Les communistes et l’Algérie, des origines à la guerre d’indépendance, 1920-1962 ».

World Economic Forum- This Indian state has gone 100% organic- By Thomson Reuters Foundation trust

A woman works at a paddy field near Pelling in the Indian Himalayan state of Sikkim October 12, 2009. Food commodities prices are likely to stay firm and volatile in the medium term, with a repeat of the 2007-2008 price spikes seen as a realistic possibility, the U.N. Food and Agriculture Organisation said on Monday. Graphics published in the report showed prices for commodities such as wheat, rice, oilseeds, raw and refined sugar were expected to hold above pre-2006 levels through to 2018.   REUTERS/Tim Chong (INDIA AGRICULTURE FOOD) - GM1E5AC1HSR01

Sikkim has been fully organic since 2016.            Image: REUTERS/Tim Chong

India’s first fully organic state won top prize in a U.N.-backed award on Friday, with organisers saying its policies had helped more than 66,000 farmers, boosted tourism and set an example to other countries.

The small Himalayan state of Sikkim on India’s border with Tibet was declared fully organic in 2016 after phasing out chemical fertilisers and pesticides and substituting them with sustainable alternatives.

Sikkim’s experience shows that « 100 percent organic is no longer a pipe dream but a reality, » said Maria-Helena Semedo, deputy director-general of the Food and Agriculture Organization (FAO), which co-organises the Future Policy Awards.

The awards have previously honoured policies combating desertification, violence against women and girls, nuclear weapons and pollution of the oceans.

This year’s was for agroecology, which includes shunning chemicals, using crop residues as compost, planting trees on farms and rotating crops to improve the soil and protect against pests.

Proponents say agroecology could increase farmers’ earnings and make farms more resilient to climate change as erratic rainfall and extended dry periods hamper food production.

Tourism numbers in Sikkim rose by 50 percent between 2014 and 2017, according to the World Future Council, another co-organiser.

« Sikkim sets an excellent example of how other countries worldwide can successfully upscale agroecology, » said Alexandra Wandel, director of the World Future Council.

« We urgently need to shift to more sustainable food systems. Agroecology is absolutely vital to make our food systems sustainable and inclusive, » she told the Thomson Reuters Foundation by email.

The second prize was split three ways, with Brazil honoured for a policy of buying food for school meals from family farms; Denmark for a successful plan to get people buying more organic food, and Ecuador’s capital Quito for boosting urban gardening.

The prizes honour « exceptional policies adopted by political leaders who have decided to act, no longer accepting widespread hunger, poverty or environmental degradation, » added FAO’s Semedo.

World Economic Forum – Europe’s dirty air kills 400,000 people every year – Written by Sean Fleming, Senior Writer, Formative Content

A view from the AirParif Generali balloon shows the Eiffel Tower through a small-particle haze as air pollution levels rise in Paris, France, January 23, 2017.   REUTERS/Philippe Wojazer - RC128973E9C0

This hidden health crisis has been brought about by a combination of factors.
Image: REUTERS/Philippe Wojazer

In Europe, the air you breathe could be the death of you. In fact, it could be killing as many as 400,000 people a year prematurely. As well as bringing about the early demise of almost half a million people, there are associated health costs that run into hundreds of billions of euros.

Image: Berkeley Earth

Poor air quality in wealthy economies like those in Europe is a hidden health crisis that has been brought about by a combination of factors, according to the EU Court of Auditors, and now presents the continent with its greatest environmental health risk. The court’s report – Air pollution: Our health still insufficiently protected – makes for bleak reading and highlights a number of key problem areas.

EU air quality standards were set 20 years ago. But despite having been around for such a long time they are still not uniformly adopted across Europe. What counts as clean air in Krakow would be deemed unacceptable in Brussels. But perhaps more alarming is that even where they are implemented, the EU air pollution targets fall short of those recommended by the World Health Organization (WHO).

WHO estimates that each year around 2 million people around the world die before their time due to air pollution, and has published detailed guidance on acceptable levels of nitrogen dioxide, sulphur dioxide, ground-level ozone, and airborne particulate matter.

Janusz Wojciechowski, the audit’s lead reporter, told the Guardian newspaper that the findings were unacceptable: “We have a public health crisis in Europe because of air pollution.” He added that there were more than 1,000 premature deaths every day across the EU accounting for “more than 1% of the daily total of deaths in the EU. This is 10 times higher than the number of car accident [deaths].”

Wojciechowski also told the Guardian that the EU spends €3.4bn on highly polluting biomass fuel – almost double the €1.8bn spent on fighting air pollution. “Air pollution should be treated as a priority by the EU,” he added. “We hope that in the next financial period it will be.”

The extent of Europe’s air pollution problem was highlighted by research undertaken by Queen Mary University of London, which found that tiny particles of carbon, typically created by burning fossil fuels, has been found in placentas.

“We do not know whether the particles we found could also move across into the foetus, but our evidence suggests that this is indeed possible, » said Dr Norrice Liu, a paediatrician and clinical research fellow at Queen Mary University. « We also know that the particles do not need to get into the baby’s body to have an adverse effect, because if they have an effect on the placenta, this will have a direct impact on the foetus.”

The air quality in London is currently such that by the end of January the city had breached its 2018 pollution limit. And across Europe there are calls for more action to be taken. An analysis from Berkeley Earth concluded that in the most polluted parts of Europe, the air quality was as harmful as smoking seven cigarettes a day. Pascal Smet, the minister for Transport and Public Works in Brussels, took to Twitter to call for a car-free day in an attempt to draw attention to the issue and help with a solution.

Taking cars off the roads of Europe’s polluted cities for a day would provide a symbolic gesture about the scale of the problem. But making sure that people can feel safe with every breath that they take will take a much greater effort.

LA FRANCE PITTORESQUE – 11 octobre 1660 : démolition du théâtre du Petit-Bourbon afin d’agrandir le Louvre (D’après « Les quarante-huit quartiers de Paris : biographie historique, archéologique et anecdotique des rues, des palais, des monuments, etc. », édition de 1850)

Sur l’emplacement même de ce théâtre se trouvait encore au début du XVIe siècle le palais du fameux connétable Charles de Bourbon (1490-1527), dernier des grands seigneurs féodaux : jugé en 1523 par le roi François Ier pour rébellion, il fut déclaré traître et criminel de lèse-majesté ; on y brisa ses armoiries, et on fit barbouiller de jaune les portes et les fenêtres de sa maison par la main du bourreau.

Il dut fuir la France, ses biens étant attribués dans un premier temps à Louise de Savoie, mère de François Ier, avant d’être rattachés au domaine royal à la mort de celle-ci en 1531. C’est au palais du Petit-Bourbon qu’était morte, à l’âge de vingt-huit ans et en pleine guerre de Cent Ans, la duchesse de Bedford, Anne de Bourgogne, fille de Jean sans Peur et femme du régent de France — Jean Lancastre, duc de Bedford — pour le roi d’Angleterre, le 14 novembre 1432.

Emplacements de l'Hôtel du Petit-Bourbon et du Louvre sur un plan de Paris de 1550

Emplacements de l’Hôtel du Petit-Bourbon et du Louvre sur un plan de Paris de 1550

Ce palais fut en grande partie démoli en 1525, à l’exception de la chapelle et d’une vaste galerie où l’on établit un théâtre qui servait aux fêtes et aux ballets de la cour, où les princes et Louis XIV lui-même dansaient publiquement. Le 19 mai 1577, des comédiens italiens que le roi Henri III avait fait venir de Venise, et qui avaient donné des représentations à Blois, furent installés au théâtre du Petit-Bourbon ; ils prenaient quatre sous par personne, et ils attiraient un grand concours de spectateurs. En 1584 et en 1588 il parurent une seconde et une troisième troupe. En 1645, le théâtre du Petit-Bourbon fut occupé par des bouffons italiens, que le cardinal Mazarin avait fait venir pour satisfaire la passion de la reine Anne pour les spectacles, et où il fit représenter la Festa theatraleOrphée et Euridice, etc.

En 1658, ce théâtre fut accordé à Molière, dont la troupe débuta en présence de Louis XIV, le 3 décembre, par l’Etourdi et le Dépit amoureux. Cette troupe donna des représentations sur ce théâtre jusqu’en 1660, époque où Molière quitta le théâtre du Petit-Bourbon pour aller occuper la salle du Palais-Royal le 20 janvier suivant, et où ils demeureront jusqu’à la mort du dramaturge en 1673. En cette année 1660, des comédiens espagnols venus avec l’infante Marie-Thérèse, que Louis XIV venait d’épouser, donnèrent trois représentations sur le théâtre du Petit-Bourbon, dont la démolition fut commencée le 11 octobre.

Sur son emplacement fut bâtie, du côté du quai, la partie de la colonnade du Louvre dont Louis XIV posa la première pierre le 17 octobre 1665. Les restes du palais du Petit-Bourbon qui n’avaient pas été occupés par le théâtre avaient été affectés au garde-meuble de la couronne, qui fut transféré à l’hôtel Conti en 1758. C’est dans la galerie de ce palais que furent réunis les états généraux de 1614, du 27 octobre 1614 au 23 février 1615, derniers avant ceux de 1789.

Brain Pickings – The Gashlycrumb Tinies: A Very Gorey Alphabet Book – BY MARIA POPOVA

A delightfully dark vintage alphabet book from mid-century illustrator Edward Gorey, the Tim Burton of his day.

It’s no secret I have a massive soft spot for alphabet books. In 1963, prolific illustrator and author Edward Gorey (February 22, 1925–April 15, 2000) published an alphabet book so grimly antithetical to the very premise of the genre — making children feel comfortable and inspiring them to learn — that it took the macabre humor genre to a new level. “A is for Amy who fell down the stairs,” The Gashlycrumb Tinies begins. “B is for Basil assaulted by bears. C is for Clara who wasted away. D is for Desmond thrown out of a sleigh…”

Part Tim Burton long before there was Burton, part Edgar Allan Poe long after Poe, the book exudes Gorey’s signature adult picture book mastery, not merely adorned by the gorgeously dark crosshatched illustrations but narratively driven by them.

 

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb Tinies

Edward Gorey's Gashlycrumb TiniesThe Gashlycrumb Tinies comes in a string of more than 40 gems Gorey published in his lifetime, including favorites like The Epiplectic Bicycle and The Doubtful Guest. His work, which spans over six decades, is collected in four excellent volumes entitled Amphigorey — I, II, III, IV — a play on the word amphigory, meaning a nonsense verse or composition.

DAYS AFTER DAYS- SEMAINE 39

DAYS AFTER DAYS

 

SEMAINE 39

 

 

 

Cette semaine je la résume en ces quelques post

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lundi dernier en arrivant à Lourdes, j’avais une pensée particulière, entre autres, pour Maurice et pour Jocelyne qui l’accompagne avec beaucoup de courage, je viens d’avoir Jocelyne, Maurice nous a quitté aujourd’hui autour de 19 H, Maurice, c’est Maurice Marcoult, un ami, un frère qui frappé par ce mal, avait tout oublié d’hier. C’était un homme de culture et de tolérance qui savait faire silence pour écouter et après dire dans le respect de l’autre, sa vision bien marquée par l’amour de l’autre. Maurice, c’était un artiste, elle avait dédiée à Fleurette, une de ses peintures, cette bicyclette contre l’arbre qui me faisait penser à « La bicyclette bleue de Régine Deforge ». Maurice exposait chaque année dans la salle d’exposition de l’office de tourisme de Dourdan. Aujourd’hui je suis très triste et partage avec Jocelyne, Delphine, Géraldine, Jérôme et Diane cette douleur. J’ai cherché dans les peintures de Maurice et j’ai trouvé cette peinture de lui qui parle bien de Dourdan et de ses environs. Maurice tu auras bien des choses à raconter au Bon Dieu et dis lui bien fort que tu as des amis qui t’aiment ici bas.

L’image contient peut-être : plante et arbre

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Cette très belle messe d’action de grâce pour une dénommée Fleurette à Saint Dominique à Paris pour lui dire merci pour son travail, son dévouement et son attachement à la paroisse à l’occasion de sa retraite.

L’image contient peut-être : 8 personnes, personnes debout et intérieur

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Retour à Andernos-les-Bains après les obsèques de l’ami Maurice.

Le départ

de william Blake

Je suis debout au bord de la plage.

Un voilier passe dans la brise du matin et part vers l’Ocean.

 Il est la beauté, il est la vie.

Je le regarde jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’horizon.

Quelqu’un à côté de moi dit : « IL EST PARTI » Parti vers où, parti de mon regard c’est tout.

Son mât est toujours aussi haut, sa coque a toujours la force de porter sa charge humaine.

Sa disparition totale de ma vie est en moi, pas en lui.

 Et juste au moment où quelqu’un auprès de moi dit : « IL EST PARTI »,

 il y en a d’autres qui le voyant pointer à l’horizon et venir vers eux s’exclament avec joie : « LE VOILÀ ».

C’est ça la mort.

L’image contient peut-être : plein air et nature

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Encore à Andernos-les-Bains, nous venons d’apprendre le départ de Roland, il est aussi parti vers l’océan emportant avec lui la beauté de la vie, telle qu’il l’a symbolisée par son sens du silence, de l’écoute et du dévouement dans des situations difficiles. un homme respectueux qui savait honorer avec dignité son prochain, Roland, vous resterez dans nos cœurs pour ce que vous êtes et avez été, nous sommes solidaires avec vos enfants, leurs époux et épouses, vos petits enfants et toute la famille réunie.

L’image contient peut-être : plante

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Brain Pickings – Wonderful read on the art of being alone without being lonely – The Lonely City: Adventures in the Art of Being Alone, by Maria Popova

“Loneliness is difficult to confess; difficult too to categorise. Like depression, a state with which it often intersects, it can run deep in the fabric of a person.”

“You are born alone. You die alone. The value of the space in between is trust and The Lonely City: Adventures in the Art of Being Alonelove,” artist Louise Bourgeois wrote in her diary at the end of a long and illustrious life as she contemplated how solitude enriches creative work. It’s a lovely sentiment, but as empowering as it may be to those willing to embrace solitude, it can be tremendously lonesome-making to those for whom loneliness has contracted the space of trust and love into a suffocating penitentiary. For if in solitude, as Wendell Berry memorably wrote, “one’s inner voices become audible [and] one responds more clearly to other lives,” in loneliness one’s inner scream becomes deafening, deadening, severing any thread of connection to other lives.

How to break free of that prison and reinhabit the space of trust and love is what Olivia Laing explores in The Lonely City: Adventures in the Art of Being Alone (public library) — an extraordinary more-than-memoir; a sort of memoir-plus-plus, partway between Helen MacDonald’s H Is for Hawk and the diary of Virginia Woolf; a lyrical account of wading through a period of self-expatriation, both physical and psychological, in which Laing paints an intimate portrait of loneliness as “a populated place: a city in itself.”

Art by Isol from Daytime Visions

After the sudden collapse of a romance marked by extreme elation, Laing left her native England and took her shattered heart to New York, “that teeming island of gneiss and concrete and glass.” The daily, bone-deep loneliness she experienced there was both paralyzing in its all-consuming potency and, paradoxically, a strange invitation to aliveness. Indeed, her choice to leave home and wander a foreign city is itself a rich metaphor for the paradoxical nature of loneliness, animated by equal parts restlessness and stupor, capable of turning one into a voluntary vagabond and a catatonic recluse all at once, yet somehow a vitalizing laboratory for self-discovery. The pit of loneliness, she found, could “drive one to consider some of the larger questions of what it is to be alive.”

She writes:

There were things that burned away at me, not only as a private individual, but also as a citizen of our century, our pixelated age. What does it mean to be lonely? How do we live, if we’re not intimately engaged with another human being? How do we connect with other people, particularly if we don’t find speaking easy? Is sex a cure for loneliness, and if it is, what happens if our body or sexuality is considered deviant or damaged, if we are ill or unblessed with beauty? And is technology helping with these things? Does it draw us closer together, or trap us behind screens?

Bedeviled by this acute emotional anguish, Laing seeks consolation in the great patron saints of loneliness in twentieth-century creative culture. From this eclectic tribe of the lonesome — including Jean-Michel Basquiat, Alfred Hitchcock, Peter Hujar, Billie Holiday, and Nan Goldin — Laing chooses four artists as her companions charting the terra incognita of loneliness: Edward Hopper, Andy Warhol, Henry Darger, and David Wojnarowicz, who had all “grappled in their lives as well as work with loneliness and its attendant issues.”

Olivia Laing

Olivia Laing

She considers, for instance, Warhol — an artist whom Laing had always dismissed until she was submerged in loneliness herself. (“I’d seen the screen-printed cows and Chairman Maos a thousand times, and I thought they were vacuous and empty, disregarding them as we often do with things we’ve looked at but failed properly to see.”)She writes:

Warhol’s art patrols the space between people, conducting a grand philosophical investigation into closeness and distance, intimacy and estrangement. Like many lonely people, he was an inveterate hoarder, making and surrounding himself with objects, barriers against the demands of human intimacy. Terrified of physical contact, he rarely left the house without an armoury of cameras and tape recorders, using them to broker and buffer interactions: behaviour that has light to shed on how we deploy technology in our own century of so-called connectivity.

Woven into the fabric of Laing’s personal experience are inquiries into the nature, context, and background of these four artists’ lives and their works most preoccupied with loneliness. But just as it would be unfair to call Laing’s masterpiece only a “memoir,” it would be unfair to call these threads “art history,” for they are rather the opposite, a kind of “art present” — elegant and erudite meditations on how art is present with us, how it invites us to be present with ourselves and bears witness to that presence, alleviating our loneliness in the process.

Laing examines the particular, pervasive form of loneliness in the eye of a city aswirl with humanity:

Imagine standing by a window at night, on the sixth or seventeenth or forty-third floor of a building. The city reveals itself as a set of cells, a hundred thousand windows, some darkened and some flooded with green or white or golden light. Inside, strangers swim to and fro, attending to the business of their private hours. You can see them, but you can’t reach them, and so this commonplace urban phenomenon, available in any city of the world on any night, conveys to even the most social a tremor of loneliness, its uneasy combination of separation and exposure.

You can be lonely anywhere, but there is a particular flavour to the loneliness that comes from living in a city, surrounded by millions of people. One might think this state was antithetical to urban living, to the massed presence of other human beings, and yet mere physical proximity is not enough to dispel a sense of internal isolation. It’s possible – easy, even – to feel desolate and unfrequented in oneself while living cheek by jowl with others. Cities can be lonely places, and in admitting this we see that loneliness doesn’t necessarily require physical solitude, but rather an absence or paucity of connection, closeness, kinship: an inability, for one reason or another, to find as much intimacy as is desired. Unhappy, as the dictionary has it, as a result of being without the companionship of others. Hardly any wonder, then, that it can reach its apotheosis in a crowd.

As scientists are continuing to unpeel the physiological effects of loneliness, it is no surprise that this psychological state comes with an almost bodily dimension, which Laing captures vividly:

What does it feel like to be lonely? It feels like being hungry: like being hungry when everyone around you is readying for a feast. It feels shameful and alarming, and over time these feelings radiate outwards, making the lonely person increasingly isolated, increasingly estranged. It hurts, in the way that feelings do, and it also has physical consequences that take place invisibly, inside the closed compartments of the body. It advances, is what I’m trying to say, cold as ice and clear as glass, enclosing and engulfing.

There is, of course, a universe of difference between solitude and loneliness — two radically different interior orientations toward the same exterior circumstance of lacking companionship. We speak of “fertile solitude” as a developmental achievement essential for our creative capacity, but loneliness is barren and destructive; it cottons in apathy the will to create. More than that, it seems to signal an existential failing — a social stigma the nuances of which Laing addresses beautifully:

Loneliness is difficult to confess; difficult too to categorise. Like depression, a state with which it often intersects, it can run deep in the fabric of a person, as much a part of one’s being as laughing easily or having red hair. Then again, it can be transient, lapping in and out in reaction to external circumstance, like the loneliness that follows on the heels of a bereavement, break-up or change in social circles.

Like depression, like melancholy or restlessness, it is subject too to pathologisation, to being considered a disease. It has been said emphatically that loneliness serves no purpose… Perhaps I’m wrong, but I don’t think any experience so much a part of our common shared lives can be entirely devoid of meaning, without a richness and a value of some kind.

With an eye to Virginia Woolf’s unforgettable diary writings on loneliness and creativity, Laing speculates:

Loneliness might be taking you towards an otherwise unreachable experience of reality.

Adrift and alone in the city that promises its inhabitants “the gift of privacy with the excitement of participation,” Laing cycles through a zoetrope of temporary homes — sublets, friends’ apartments, and various borrowed quarters, only amplifying the sense of otherness and alienation as she is forced to make “a life among someone else’s things, in a home that someone else has created and long since.”

Art by Carson Ellis from Home

But therein lies an inescapable metaphor for life itself — we are, after all, subletting our very existence from a city and a society and a world that have been there for much longer than we have, already arranged in a way that might not be to our taste, that might not be how the building would be laid out and its interior designed were we to do it from scratch ourselves. And yet we are left to make ourselves at home in the way things are, imperfect and sometimes downright ugly. The measure of a life has to do with this subletting ability — with how well we are able to settle into this borrowed, imperfect abode and how much beauty we can bring into existence with however little control over its design we may have.

This, perhaps, is why Laing found her only, if temporary, respite from loneliness in an activity propelled by the very act of leaving this borrowed home: walking. In a passage that calls to mind Robert Walser’s exquisite serenade to the soul-nourishment of the walk, she writes:

In certain circumstances, being outside, not fitting in, can be a source of satisfaction, even pleasure. There are kinds of solitude that provide a respite from loneliness, a holiday if not a cure. Sometimes as I walked, roaming under the stanchions of the Williamsburg Bridge or following the East River all the way to the silvery hulk of the U.N., I could forget my sorry self, becoming instead as porous and borderless as the mist, pleasurably adrift on the currents of the city.

But whatever semblance of a more solid inner center these peripatetic escapes into solitude offered, it was a brittle solidity:

I didn’t get this feeling when I was in my apartment; only when I was outside, either entirely alone or submerged in a crowd. In these situations I felt liberated from the persistent weight of loneliness, the sensation of wrongness, the agitation around stigma and judgement and visibility. But it didn’t take much to shatter the illusion of self-forgetfulness, to bring me back not only to myself but to the familiar, excruciating sense of lack.

Edward Hopper: Nighthawks (1942)

Edward Hopper: Nighthawks (1942)

It was in the lacuna between self-forgetfulness and self-discovery that Laing found herself drawn to the artists who became her companions in a journey both toward and away from loneliness. There is Edward Hopper with his iconic Nighthawks aglow in eerie jade, of which Laing writes:

There is no colour in existence that so powerfully communicates urban alienation, the atomisation of human beings inside the edifices they create, as this noxious pallid green, which only came into being with the advent of electricity, and which is inextricably associated with the nocturnal city, the city of glass towers, of empty illuminated offices and neon signs.

[…]

The diner was a place of refuge, absolutely, but there was no visible entrance, no way to get in or out. There was a cartoonish, ochre-coloured door at the back of the painting, leading perhaps into a grimy kitchen. But from the street, the room was sealed: an urban aquarium, a glass cell.

[…]

Green on green, glass on glass, a mood that expanded the longer I lingered, breeding disquiet.

Hopper himself had a conflicted relationship with the common interpretation that loneliness was a central theme of his work. Although he often denied that it was a deliberate creative choice, he once conceded in an interview: “I probably am a lonely one.” Laing, whose attention and sensitivity to even the subtlest texture of experience are what make the book so wonderful, considers how Hopper’s choice of language captures the essence of loneliness:

It’s an unusual formulation, a lonely one; not at all the same thing as admitting one is lonely. Instead, it suggests with that a, that unassuming indefinite article, a fact that loneliness by its nature resists. Though it feels entirely isolating, a private burden no one else could possibly experience or share, it is in reality a communal state, inhabited by many people. In fact, current studies suggest that more than a quarter of American adults suffers from loneliness, independent of race, education and ethnicity, while 45 per cent of British adults report feeling lonely either often or sometimes. Marriage and high income serve as mild deterrents, but the truth is that few of us are absolutely immune to feeling a greater longing for connection than we find ourselves able to satisfy. The lonely ones, a hundred million strong. Hardly any wonder Hopper’s paintings remain so popular, and so endlessly reproduced.

Reading his halting confession, one begins to see why his work is not just compelling but also consoling, especially when viewed en masse. It’s true that he painted, not once but many times, the loneliness of a large city, where the possibilities of connection are repeatedly defeated by the dehumanising apparatus of urban life. But didn’t he also paint loneliness as a large city, revealing it as a shared, democratic place, inhabited, whether willingly or not, by many souls?

[…]

What Hopper captures is beautiful as well as frightening. They aren’t sentimental, his pictures, but there is an extraordinary attentiveness to them… As if loneliness was something worth looking at. More than that, as if looking itself was an antidote, a way to defeat loneliness’s strange, estranging spell.

David Wojnarowicz by Peter Hujar (Peter Hujar Archive)

David Wojnarowicz by Peter Hujar (Peter Hujar Archive)

For the artists accompanying Laing on her journey — including Henry Darger, the brilliant and mentally ill Chicago janitor whose posthumously discovered paintings made him one of the most celebrated outsider artists of the twentieth century, and the creative polymath David Wojnarowicz, still in his thirties when AIDS took his life — loneliness was often twined with another profound affliction of the psyche: loss. In a passage evocative of Paul Goodman’s taxonomy of the nine types of silence, Laing offers a taxonomy of lonelinesses through the lens of loss:

Loss is a cousin of loneliness. They intersect and overlap, and so it’s not surprising that a work of mourning might invoke a feeling of aloneness, of separation. Mortality is lonely. Physical existence is lonely by its nature, stuck in a body that’s moving inexorably towards decay, shrinking, wastage and fracture. Then there’s the loneliness of bereavement, the loneliness of lost or damaged love, of missing one or many specific people, the loneliness of mourning.

But this lonesomeness of mortality finds its antidote in the abiding consolations of immortal works of art. “Art holds out the promise of inner wholeness,” philosopher Alain de Botton and art historian John Armstrong wrote in their inquiry into the seven psychological functions of art, and if loneliness is, as Laing puts it, “a longing for integration, for a sense of feeling whole,” what better answer to that longing than art? After all, in the immortal words of James Baldwin, “only an artist can tell, and only artists have told since we have heard of man, what it is like for anyone who gets to this planet to survive it.”

watertower_byMariaPopova

Looking back on her experience, Laing writes:

There are so many things that art can’t do. It can’t bring the dead back to life, it can’t mend arguments between friends, or cure AIDS, or halt the pace of climate change. All the same, it does have some extraordinary functions, some odd negotiating ability between people, including people who never meet and yet who infiltrate and enrich each other’s lives. It does have a capacity to create intimacy; it does have a way of healing wounds, and better yet of making it apparent that not all wounds need healing and not all scars are ugly.

If I sound adamant it is because I am speaking from personal experience. When I came to New York I was in pieces, and though it sounds perverse, the way I recovered a sense of wholeness was not by meeting someone or by falling in love, but rather by handling the things that other people had made, slowly absorbing by way of this contact the fact that loneliness, longing, does not mean one has failed, but simply that one is alive.

But as profoundly personal as loneliness may feel, it is inseparable from the political dimensions of public life. In a closing passage that calls to mind Audre Lorde’s clarion call for breaking our silences against structural injustice, Laing adds:

There is a gentrification that is happening to cities, and there is a gentrification that is happening to the emotions too, with a similarly homogenising, whitening, deadening effect. Amidst the glossiness of late capitalism, we are fed the notion that all difficult feelings — depression, anxiety, loneliness, rage — are simply a consequence of unsettled chemistry, a problem to be fixed, rather than a response to structural injustice or, on the other hand, to the native texture of embodiment, of doing time, as David Wojnarowicz memorably put it, in a rented body, with all the attendant grief and frustration that entails.

I don’t believe the cure for loneliness is meeting someone, not necessarily. I think it’s about two things: learning how to befriend yourself and understanding that many of the things that seem to afflict us as individuals are in fact a result of larger forces of stigma and exclusion, which can and should be resisted.

Loneliness is personal, and it is also political. Loneliness is collective; it is a city. As to how to inhabit it, there are no rules and nor is there any need to feel shame, only to remember that the pursuit of individual happiness does not trump or excuse our obligations to each another. We are in this together, this accumulation of scars, this world of objects, this physical and temporary heaven that so often takes on the countenance of hell. What matters is kindness; what matters is solidarity. What matters is staying alert, staying open, because if we know anything from what has gone before us, it is that the time for feeling will not last.

The Lonely City is a layered and endlessly rewarding book, among the finest I have ever read. Complement it with Rebecca Solnit on how we find ourselves by getting lost, David Whyte on the transfiguration of aloneness, Alfred Kazin on loneliness and the immigrant experience, and Sara Maitland on how to be alone without being lonely.