Le « Faire de l’UNESCO un acteur de référence du développement durable »

Audrey AZOULAY

Une Ambition pour l’UNESCO

À l’heure où nous voyons ressurgir dans le monde des tensions que l’on croyait apaisées, régresser des libertés fondamentales, des populations massivement contraintes de fuir la misère et la violence, à l’heure où les revendications identitaires ou religieuses alimentent les discordes nationales et internationales, à l’heure où les risques environnementaux se matérialisent, la mission de l’UNESCO apparaît plus cruciale que jamais.

L’UNESCO doit s’affirmer avec ambition comme la conscience des Nations Unies, pour reprendre les mots fondateurs de Léon Blum, assumer pleinement le périmètre complet de ses missions et refuser toute vision réductrice de son mandat.

C’est par l’éducation, la culture, la diffusion de la science et du développement durable, la défense des valeurs humanistes que l’UNESCO peut faire vivre les ressorts les plus profonds, les plus sûrs à long terme, du projet universaliste de paix et de démocratie des Nations Unies.

L’UNESCO est ce lieu unique et légitime qui peut offrir aux hommes et femmes de bonne volonté un espace de dialogue, non pas immune des tensions du monde, mais au contraire leur permettant de les traiter autrement que dans de stériles postures d’affrontement.

Cette ambition implique des évolutions pour l’UNESCO, tant dans la mise en œuvre de ses missions que dans son organisation. L’UNESCO, en tant que forum de pensée et organisation opérationnelle, a sa place, primordiale, au sein du système onusien.

Il est essentiel qu’elle incarne pleinement chacun des rôles qui lui sont assignés, partout dans le monde, avec volontarisme et efficacité, en usant de nouveaux outils technologiques ou conceptuels, en favorisant une approche globale afin de créer des synergies entre tous ses domaines d’intervention.

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L’éducation comme ferment de développement et d’égalité entre les sexes

Si la scolarisation a connu des progrès constants au plan mondial au cours des décennies précédentes, sa progression n’est pas linéaire. La scolarisation des enfants et la lutte contre l’analphabétisme restent une priorité de l’UNESCO qui doit renforcer son action de façon plus ciblée sur les zones nécessitant une aide spécifique à la structuration de l’éducation de base.

Au-delà de la scolarisation primaire, l’Organisation soutient une vision globale de l’éducation, comme processus accompagnant les citoyens tout au long de leur vie, afin de devenir pleinement acteurs d’un monde en mutation. L’Objectif de développement durable n°4 adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2015 est d’assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité et tout au long de la vie. En tant que chef de file pour l’ODD 4 Education 2030, l’UNESCO doit maintenant mettre en œuvre les quatre grandes orientations définies en mai 2016.

Science et culture participent, à travers l’éducation, à l’émancipation individuelle qui permet de lutter contre l’obscurantisme. L’éducation est le principal levier pour lutter contre le repli sur soi et permettre une réelle ouverture à l’autre. Elle permet de faire connaître et partager des savoirs et des valeurs communes, fondées sur le respect de la différence. C’est pourquoi l’éducation sera ma priorité. Cette ambition doit être réaffirmée, notamment en Afrique, et par l’appui des grands réseaux qui sont aussi la force de l’Organisation, à savoir le réseau des écoles associées et des chaires UNESCO, moyens innovants de promotion de la coopération éducative et universitaire internationale.

La promotion de l’éducation doit pleinement se saisir des opportunités qu’offre la révolution numérique. L’accompagnement de la mise en place des infrastructures que nécessitent les techniques modernes de communication est incontournable dans les plans d’aides à l’éducation.

Encore trop de filles n’ont pas un accès égal à l’éducation secondaire indispensable pour acquérir l’autonomie à laquelle aspire tout être humain. Or, il est démontré que l’élévation du niveau de formation des filles est un des moteurs les plus efficaces du progrès social et du développement économique. Et c’est une conviction de femme que le chemin vers la parité est un chemin de progrès pour la société tout entière.

Refonder l’ambition culturelle pour l’UNESCO

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Grâce à son expertise et à la qualité de ses agents, l’UNESCO s’est affirmée sans conteste comme le référent mondial en matière culturelle. Elle est au cœur du corpus normatif international en la matière. Il conviendra de maintenir et de renforcer ces acquis. Des synergies entre les différents conventions et programmes dans le domaine de la culture devront être recherchées.
Mais la culture est souvent la cible des obscurantistes car elle est le trait d’union entre les individus, facteur de liberté, de démocratie et de développement.

Le patrimoine, qu’il soit matériel ou immatériel, est l’un des fondements de l’identité des peuples qui le protègent depuis des siècles. Détruire une oeuvre ou un édifice du passé, c’est s’attaquer à la culture et à la mémoire des peuples. De Tombouctou à Palmyre, de Bâmiyân à Mossoul, à chaque fois qu’un ouvrage millénaire est détruit, c’est l’humanité même qui se trouve attaquée, dans son histoire et dans ses valeurs. Il faut opposer aux passions identitaires les vertus pacificatrices d’un patrimoine mondial conçu comme le socle d’une mémoire partagée entre les peuples dans un esprit de tolérance et de reconnaissance de l’altérité et, au-delà, en faire le support d’une vision commune de l’avenir.

L’UNESCO est un acteur moteur de la protection et de la reconstruction du patrimoine détruit, comme en Bosnie-Herzegovine avec le pont de Mostar, au Cambodge, ou à Angkor. La Directrice Générale, Irina Bokova, s’est particulièrement investie dans la défense du patrimoine menacé, comme au Mali par exemple. Dans le prolongement des actions qu’elle a lancées, telles que Unite4Heritage, il faut poursuivre cette mobilisation sans relâche, en partenariat avec les initiatives internationales et régionales pour trouver les moyens necessaires à la protection des biens culturels et des sites.

Ce sera par exemple le cas concernant le partenariat avec l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit (ALIPH), créée à l’issue de la conférence internationale d’Abou Dhabi de décembre 2016.

La lutte contre le trafic illicite, corollaire de la protection du patrimoine, mais aussi de la lutte contre le financement du terrorisme, doit être accentuée, en rendant plus effectives les conventions internationales, en accompagnant les efforts d’harmonisation des législations et de coopération entre les autorités des Etats, et en renforçant une éducation à la citoyenneté universaliste visant à protéger le patrimoine.

L’autre écueil auquel nous devons faire face est l’uniformisation rampante des cultures. L’UNESCO a affirmé avec force dans sa convention de 2005 que la diversité culturelle est une caractéristique inhérente à l’humanité, qu’elle doit être préservée et promue au profit de tous. La diversité est porteuse de tolérance, de justice sociale et de respect mutuel entre les peuples et les cultures.

La mondialisation des échanges et l’ouverture des marchés, alliée à la révolution numérique, posent des défis inédits en termes d’accès à la culture, de partage des connaissances, de diversité et de liberté de création, de circulation des œuvres, d’équité des échanges. Nous sommes passés, en dix ans, d’une ère de la rareté à une ère de massification de l’accès aux biens culturels en ligne. Des conséquences profondes en termes de financement des industries créatives se posent. Simultanément, d’autres enjeux sont apparus, tels que la neutralité de l’accès à l’information ou le référencement d’une offre diverse.

En adoptant un projet de directives opérationnelles en 2016, l’UNESCO a reconnu que la diversité culturelle doit être aussi préservée dans l’univers numérique. C’est un nouveau défi à relever. Je m’engage à promouvoir tous les dispositifs qui favorisent la préservation d’une diversité culturelle dans les nouveaux médias.

Faire de l’UNESCO un acteur de référence du développement durable

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Dans un monde qui atteint ses limites biophysiques, les sciences, les technologies et l’innovation jouent un rôle crucial pour relever les défis économiques, sociaux et environnementaux, et améliorer la gestion durable de nos ressources naturelles. Les Etats doivent aujourd’hui répondre à ces défis et plus particulièrement au péril climatique et environnemental, en partenariat avec les sociétés civiles.

L’UNESCO joue un rôle majeur dans la diffusion des outils de lutte contre les changements climatiques et la promotion de la recherche et des échanges scientifiques comme en témoigne le programme sur l’Homme et la biosphère (MAB). Elle est aussi protectrice d’espaces naturels riches d’une biodiversité que les hommes protègent et valorisent.

A la suite de l’accord de Paris sur le climat de décembre 2015, l’Organisation peut davantage s’impliquer sur la question stratégique du développement durable, comme acteur de référence.

Garante d’une recherche scientifique indépendante menée au bénéfice de l’intérêt général, l’UNESCO doit également favoriser un lien plus étroit entre la recherche et les politiques publiques pour qu’elles bénéficient davantage des avancées de la connaissance, notamment dans le domaine des sciences sociales, comme le reflète l’ambition du programme MOST. L’UNESCO doit remplir pleinement sa mission de prospective et de promotion de la coopération et de l’éducation scientifique. Les travaux dans le domaine de l’éthique et de la bioéthique doivent être poursuivis ; l’UNESCO est l’espace de mutualisation des expertises scientifiques en la matière.

L’UNESCO comme forum intellectuel au service des valeurs universelles

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Porteuse de la force intellectuelle et morale qui a permis sa fondation au moment de la reconstruction de l’après-guerre, l’Organisation doit renforcer ses liens avec de grands penseurs de notre époque, intellectuels, scientifiques, grands artistes représentatifs de toutes les cultures. Ils devront agir comme représentants de l’universalité de la pensée humaine et du progrès des civilisations afin de porter leurs propres valeurs au-delà des frontières. Le rôle des sciences humaines et sociales est à cet égard fondamental, afin de mieux comprendre et appréhender les grandes évolutions des sociétés, passées ou en cours. L’UNESCO doit également s’appuyer sur le dynamisme et la créativité de la société civile mais aussi des autres organisations du système onusien.
L’UNESCO est, partout dans le monde, le défenseur de la liberté d’expression. La sécurité des journalistes demeure à cet égard un objectif primordial qui lui incombe. Les nouveaux médias numériques doivent également être au service de cette ambition afin d’élargir son audience.

Enfin, l’UNESCO est l’organisation du dialogue entre les peuples et non la chambre d’échos de querelles étatiques. Elle est le lieu des débats et grandes réflexions de notre temps, la Maison du dialogue où les acteurs décisifs de la science, de l’éducation, de la culture et de la communication échangent dans le respect de chacun, autour de valeurs fondamentales partagées. La prévention des conflits doit toujours être privilégiée pour ne pas aboutir à des situations de blocage.

Rendre l’UNESCO plus efficace au bénéfice de tous

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Les enjeux cruciaux auxquels nous devons collectivement faire face nécessitent que l’Organisation puisse agir plus rapidement, avec une méthode de gouvernance claire, compréhensible et efficace. C’est pourquoi il faut poursuivre les efforts afin qu’elle puisse être plus présente sur le terrain, au plus près des Etats et des populations, notamment à travers la poursuite de la réforme des bureaux hors siège.

Reposant sur la volonté des Etats, il appartient au Directeur Général de mettre en œuvre les orientations qui s’en dégagent en trouvant les consensus nécessaires et en fixant des objectifs identifiables et évaluables tenant compte des réalités budgétaires.

L’Organisation doit réaffirmer son caractère universel, qui induit la participation de chacun, à hauteur de ses moyens, au financement des programmes. Le Directeur Général devra poursuivre un travail inlassable en matière de recherche de financements, que ce soit auprès des Etats, pour qu’ils amplifient leur responsabilité en matière de solidarité internationale, ou à travers la mise en place de nouvelles formes de financements. Les coopérations avec des collectivités territoriales, des institutions scientifiques et culturelles, des fondations, les grands musées doivent être institutionnalisées et renforcées. Une plus grande visibilité des fonds disponibles doit être recherchée dans le cadre du dialogue financier structuré afin de parvenir à une meilleure affectation des ressources extra-budgétaires dans les programmes prioritaires.

Voici, en quelques traits, l’ambition portée par cette candidature, qui repose sur l’idée que l’UNESCO a plus que jamais un rôle majeur à jouer dans le monde d’aujourd’hui et de demain.

Audrey AZOULAY

Audrey AZOULAY 0Audrey AZOULAY est une haute fonctionnaire et femme politique française. Elle a été conseillère du président de la République François Hollande, chargée de la culture et de la communication de 2014 à 2016, puis ministre de la Culture dans le second gouvernement de Manuel Valls et celui de Bernard Cazeneuve. Elle est candidate au poste de directeur général de l’Unesco, qui sera renouvelé ce mois ci.

 

BONNE CHANCE MADAME LA MINISTRE.