RICHIE, le livre consacré par Raphaëlle Bacqué, journaliste au Monde, au feu directeur de Sciences Po Richard Descoings donne une idée de la puissance d’un lobby, que je vous laisserai découvrir en vous invitant à lire ce livre.
RICHIE. C’est ainsi que les étudiants de Sciences Po surnommaient leur directeur, scandant ce prénom, brandissant sa photo, comme s’il s’agissait d’une rock star ou d’un gourou. L’influence politique et médiatique, du lobby auquel il appartenait est sans commune mesure avec le nombre de ses membres très minoritaires dans la société européenne, résulte néanmoins d’une solidarité active et même activiste, quel que soit le domaine où elle s’exerce : culturel, bien sûr, mais aussi économique, industriel, bancaire, judiciaire, voire institutionnel. Rien ne prédisposait le jeune Richard à devenir l’une des gloires de la République. Trois fois recalé à l’ENA, dont en cachant son jeu, il sortit pourtant dans un rang excellent, il atterrit au Conseil d’État, où il s’ennuie ferme. Après avoir perdu, pas mal de proches emportés par le sida, il se consacre corps et âme à l’association AIDES, c’est aussi le lieu où il a rencontré son grand amour Guillaume Pépy avec lequel il emménage dans un appartement proche de la Madeleine, où le couple reçoit pour des fêtes mémorables tout le gratin de la Haute Administration et se constitue un fabuleux carnet d’adresses, dont tous deux sauront utiliser plus tard.
En 1991, Descoings entre au cabinet de Michel Charasse, ministre délégué au Budget, puis, au printemps 1992, il est chargé de mission dans le cabinet de Jack Lang au ministère de l’Éducation nationale et de la Culture, tandis que Pépy, passé lui aussi par le cabinet de Charasse, devient directeur de cabinet du ministre de la Fonction publique Michel Durafour puis du ministre du Travail Martine Aubry. Après l’élection de Jacques Chirac en 1995, Pépy sera nommé à la direction générale adjointe du groupe Sofres puis à divers postes d’envergure à la SNCF, en février 2008, Nicolas Sarkozy lui confiera la présidence pour un mandat de cinq ans renouvelé en 2013 par François Hollande. Descoings n’est pas en reste, membre du conseil de direction puis directeur adjoint de l’Institut d’études politiques de Paris, il en décroche la direction en 1996. Ayant ouvert la prestigieuse école à des Jeunes de banlieues après qu’un autre de ses proches, le politologue Dominique Reynié, lui eut reproché le manque de « Diversité » rue Saint-Guillaume. Il est tellement en vue que, dans sa politique d’ »ouverture », Nicolas Sarkozy envisage un moment d’en faire son ministre de l’Éducation nationale, avant d’y renoncer.
En effet, les hautes responsabilités de celui que ses élèves acclament comme «Richie hou Akbar» ne l’empêchent pas de hanter les plus mauvais lieux. Les jeunes chargés de mission du directeur ont hérité d’un surnom glaçant, les «gitons». A quoi il réplique, «Pour être innovant, il faut être déviant» Malgré son mariage en 2004 avec Nadia Marik, Richie s’abandonne de plus en plus à ses vieux démons. On le retrouve ivre-mort et quasiment nu dans des caniveaux. Devant de tels excès, le professeur Jean Leca, spécialiste de philosophie politique, prédit «C’est un satrape, il terminera mal». La prophétie se réalisera le 3 avril 2012. Un symposium sur l’éducation organisé par l’ONU l’attend à New York, il n’y assistera jamais. On le retrouvera «étendu nu sur son lit. Sans aucune trace de coups. Mort». Aussitôt informé, le fidèle Pépy sanglotera, «On l’a tué ! On l’a tué». Le certificat de décès fera «officiellement état d’une maladie cardiaque associée à une hypertension». Trois mille personnes se presseront à ses grandioses funérailles à Saint-Sulpice dont, au premier rang, une demi-douzaine de ministres dont Wauquiez, Valérie Pécresse et Michel Baroin ainsi qu’une partie de la nomenklatura française, les plus grands banquiers et des hauts fonctionnaires en pagaille. Retenu à l’étranger, Nicolas Sarkozy a téléphoné à la veuve. Ainsi, dans le total confusionnisme et l’inversion des valeurs qui avaient marqué sa vie s’acheva l’existence d’un déviant revendiqué, auquel la République avait confié l’élite de sa jeunesse, en le couvrant d’or, par surcroît, puisque, selon la Cour des comptes critiquant l’opacité de la gestion de l’IEP pendant la présidence de Richard Descoings, la rémunération brute annuelle de celui s’était élevée à 537.000,00 euros en 2010.
L’auteur
Raphaëlle Bacqué avait déjà consacré une biographie cinglante au «Dernier Mort de Mitterrand», alias François de Grossouvre, retrouvé suicidé dans son bureau de l’Elysée. Voilà par ce livre elle donne sa vérité sur Richard Descoings, décédé aussi dans des conditions suspectes. Elle met en avant, Bref, «un grand chef un peu fêlé, nabab exigeant, enfant perdu », elle ne semble guère avoir de sympathie particulière pour son héros qu’elle a à peine croisé, mais dont elle relate avec une abondance de détails glanés ici et là avec ténacité l’aura de pop star auprès de ses étudiants, vite fascinés par le personnage, et qui, dans le mythique amphi Boutmy de la rue St Guillaume, l’accueillent au son de « Richie, Richie, Richie ». Elle s’interroge sur le pouvoir qu’il exerce sur les uns et les autres, les chemins de la réussite qu’il emprunte, son habileté manœuvrière, même s’il lui arrive de créer couramment le scandale, à Paris, Londres ou Berlin, entraînant sa cohorte d’étudiants à la conquête du monde et des dancings européens, débarquant dans une réunion ministérielle, l’œil vague, le visage hâve, l’haleine empuantie d’alcool, la chemise déchirée. Son but poursuivi avec ardeur? Faire de Sciences Po une école à résonance internationale, une sorte de Harvard à la française.
Cela valait-il un livre se demandera-t-on? Mais si cet anti-héros – comme d’ailleurs Grossouvre – rebute ou déroute, si le personnage fait scandale, pas seulement par sa fréquentation des back rooms, ses folles nuits au Palace ou au Queens, son usage de substances illicites, son usage intensif de Facebook où il se révèle à ses étudiants sous un jour étrange, mais aussi la rémunération et les primes qu’il s’attribue tout en se dédiant aux plus démunis, il révèle à travers lui tout un pan de la société politique qu’on ignorait.
Raphaëlle Bacqué, avec son « Richie », en aura fait un personnage mythique, un peu Jim Morisson, un brin Tapie, un tantinet Strauss-Kahn (qui fut d’ailleurs prof’ à Sciences Po sous sa gouverne), et beaucoup Rastignac. Bref, un mélange étrange qui n’appartenait sans doute qu’à lui. Ce livre-ci, juste, injuste, on ne sait trop, constitue son épitaphe au noir. Brillantissime.
Bibliographie
- 1995 : Chirac président, les coulisses d’une victoire, avec Denis Saverot
- 1997 : Seul comme Chirac, avec Denis Saverot
- 2002 : Chirac ou le Démon du pouvoir
- 2007 : La Femme fatale, avec Ariane Chemin
- 2008 : L’Enfer de Matignon : Ce sont eux qui en parlent le mieux
- 2010 : Le Dernier Mort de Mitterrand
- 2012 : Les Strauss-Kahn
- 2015 : Richie
La phrase que je retiendrai de ce livre, est ce SMS que Richard Descoings a envoyé quelques jours avant de prendre l’avion pour New-York où il est mort: «Si l’on s’écrase, la messe aura lieu à Saint Sulpice; Plug and Play au premier rang, Mozart à tue-tête. Rien pour le cancer. Tout pour les fleurs». Cela donne une bonne idée de ce qu’il était, soucieux de la pompe catholique lui qui ne croyait pas en Dieu, militant gay, sensible et provocateur.
Mon avis
Au-delà des clivages politiques, quelle preuve plus éclatante de l’efficacité du «réseau» qui nous gouverne et nous asservit.