SAVEURS CRÉOLES: LES POMMES D’AMOUR

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De forme ovale, elle a un goût très particulier, ce qui en fait l’ingrédient principal de nombreuses sauces mauriciennes. Sans pomme d’amour, pas de rougaille. Oh, bien sûr, il est possible de préparer cette succulente sauce mauricienne avec des tomates achetées en supermarché, mais “ce n’est pas la même chose”, diront les aficionados de la cuisine authentique.

Si, de nos jours, le terme “pomme d’amour” désigne expressément une variété de tomate cultivée localement, il n’en fut pas toujours ainsi. La tomate, découverte par les Européens au Mexique en 1544, a été introduite à Maurice durant la colonisation française, en 1744, par décret du gouverneur Mahé de Labourdonnais. Il choisit une variété brésilienne, et rapidement, les plants s’adaptent au climat chaud et humide de l’ile. Ce sont sans doute ces premières variétés qui, croisées avec d’autres espèces importées, a donné naissance à la première variété de pomme d’amour “locale”. De forme oblongue, cette variété se pare d’un rouge éclatant lorsque les fruits sont mûrs. Elle a un goût acidulé tout en étant délicieusement parfumée. Les pommes d’amour mauriciennes poussent particulièrement bien dans les régions côtières, dans un sol légèrement sablonneux et un environnement ensoleillé.

Dès le 19e siècle, la pomme d’amour règne sans partage sur la cuisine locale. Elle est l’aliment indispensable de plats typiques tels que le rougaille, mais entre aussi dans la pomme damour2composition de certains currys et d’autres recettes. Il existe une seconde variété de “pomme d’amour” à Maurice. Il s’agit de toutes petites tomates, ne dépassant guère un centimètre de diamètre, qui poussent en petites grappes sur des plants de la taille d’un buisson. On en trouve encore aujourd’hui en bordure des routes, dans les forêts ou dans les “fataks”, ces terrains en friche où poussent les “mauvaises herbes”. Comme les tomates cerises, elles sont particulièrement riches en goût et très sucrées. Minuscules, ces petites pommes d’amour sauvages sont remarquablement résistantes aux maladies et aux petites bêtes qui ruinent habituellement les potagers à Maurice. Malheureusement, leur petitesse fait qu’il est difficile de s’en nourrir, et ce malgré leur délicieux goût sucré. Cette variété n’est d’ailleurs que très peu cultivée dans certains potagers privés, ou par quelques collectionneurs d’espèces de tomates, et n’est pas commercialisée.

Il est à noter que l’appellation “pomme d’amour” largement utilisée à Maurice, est un ancien terme français pour désigner ce fruit venu d’Amérique du Sud. Ce n’est en effet qu’au début du 18e siècle que l’Académie française officialisa l’utilisation du mot “tomate”. L’appellation “pomme d’amour”, comme l’Italien “pomodoro”, existe d’ailleurs toujours dans certaines régions françaises. A Maurice, les grosses tomates vendues en supermarché sont appelées tomates, seules les variétés locales sont considérées comme des pommes d’amour.

Dans son livre “Mauritius, deux siècles de cuisine”, l’auteur Jean-Claude Hein fait remarquer que la variété originelle de pomme d’amour cultivée se fait de plus en plus rare. Il impute cette disparition progressive de cette ingrédient important de notre gastronomie à une décision du ministère de l’Agriculture, qui effectua des croisements avec une espèce thaïlandaise dans les années 80. Quoiqu’il en soit, la pomme d’amour reste l’un des fruits et légumes les plus demandés sur l’île. La production locale avoisine les 15 000 tonnes par an, et dépend grandement des aléas climatiques. Il arrive qu’après le passage de cyclones ou de mauvaises récoltes, le prix de cette denrée monte en flèche, même si la demande reste généralement forte.

La pomme d’amour est ainsi l’aliment mauricien dont le prix sur les étals est le plus fluctuant. Lorsque les prix sont au plus haut, de nombreux Mauriciens se résignent à utiliser des tomates en conserve pour la préparation de leurs rougailles. Tout en sachant, bien sûr, que rien ne vaut un rougaille préparé avec de bonnes pommes d’amour comme dans “létan lontan”.