CHANSON DOUCE, LEÏLA SLIMANI Editeur Gallimard (PRIX GONCOURT 2016)

 

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Comme Alfred Hitchcock, dans son adaptation de Rebecca et Mrs. Danvers, son horrible gouvernante, Leïla Slimani nous fait emprunter le chemin de la mort, dont l’animatrice principale est une nounou pas comme les autres, recrutée après des entretiens d’embauches rigoureux. Le couple (Paul et Myriam), la jeune femme, avocate, souhaitant retravailler, se met en quête de la nounou parfaite, et choisi Louise, une perle rare, la personne adéquate pour s’occuper de deux enfants et administrer le foyer, permettant à chacun, mari et femme de vaquer à leurs activités professionnelles, sans aucune culpabilité.

Les enfants s’entendent très bien avec Louise, son assiduité, ses heures supplémentaires sans jamais rien réclamer, l’appartement qui est toujours nettoyé à la perfection à la fin de la journée, les délicieux repas qu’elle prépare. Louise devient incontournable dans la famille, indispensable aux yeux des enfants comme des parents, au point même de l’emmener avec eux en vacances l’été. Puis petit à petit vient l’éloignement progressif, à cause de petits évènements qui se succèdent, quand elle maquille à l’excès la fillette de quatre ans, ou quand elle refuse le gaspillage au point de nourrir les enfants avec des aliments périmés récupérés dans la poubelle familiale. A partir de là, Louise est moins désirée dans la famille et personne ne sait comment la faire partir, jusqu’au drame, qui est cet assassinat de deux enfants par la Louise qui les aimait tant. C’est ainsi que commence cette « chanson douce » de Leïla Slimani. Elle titillera par la suite nos sentiments, à chaque page. L’isolement de Louise, qui appartient à cette famille sans en faire partie et qui rentre tard, seule, chez elle le soir avec la peur au ventre d’être rejetée, elle sait tout de cette famille qui ignore tout d’elle. Les qualités de Louise ne nous empêchent d’avoir des doutes, elle est, (trop) dévouée, (trop) irréprochable, (trop) indispensable. Comment dire à Louise qu’elle occupe trop de place quand elle est en même temps si essentielle à Myriam et Paul ?

Puis, on assouplit nos positions car l’auteure nous livre subtilement les aspérités de cette femme, les accidents de sa vie ; cette femme, seule, qui n’a jamais connu ni le plaisir, ni le bonheur réussit le tour de force de nous submerger d’émotion et on se sent porté par l’empathie… ! Egarée dans cette vie qui ne lui a rien épargné, Louise se perd jusqu’à entreprendre l’irréparable. Le roman commence en révélant, dès le premier chapitre, l’assassinat de deux enfants et la tentative de suicide de leur nourrice « qui n’a pas su mourir »… Le style sec et tranchant de Leïla Slimani, où percent des éclats de poésie ténébreuse, instaure dès les premières pages un suspense envoûtant.

D’autres personnages sont superbement construits et donne à ce livre une belle image d’aujourd’hui. Ainsi « Chanson douce » monte en puissance de page en page, jusqu’à l’overdose de décibels. C’est une histoire qui se lit facilement, dont le rythme ne faiblit pas mais qui m’a déçue. D’abord, on s’étonne que les parents soient si fantomatiques dans l’intrigue. Comment passer du statut de mère au foyer à celui de mère absente sans jamais manifester la moindre trace d’un questionnement ? Comment certains écarts de comportement de Louise ont-ils échappé aux parents, alors que Mila, la petite fille, sait parler ? J’ai aussi trouvé ce couple très égoïste, mais à leur décharge c’est aussi un peu le reflet du mode de vie actuel. Tous deux ont des professions qui leur demandent une totale implication. Ils ne comptent pas leurs heures, pensent être obligés d’en faire autant et pendant ce temps, une araignée tisse sa toile lentement pour un jour leur enlever ce qu’ils ont de plus cher et qu’ils ont pourtant délaissé, leurs enfants. Enfin, on reste seul avec ses questions à la fin de l’histoire. Par choix peut-être, Leïla Slimani ne livre qu’une explication sommaire de la psychologie de Louise qui ne semble pas justifier le drame qui s’est joué dans l’appartement. Est-ce pour nous faire passer le message qu’une tragédie est parfois difficile à analyser et à expliquer ? Je ne sais pas mais le résultat reste frustrant. De même, on ignore tout du destin de Stéphanie, la fille de Louise. En tournant la dernière page, je reste avec le sentiment d’avoir parcouru un livre divertissant mais sans grande originalité… et surtout, un roman qui me laisse un goût d’inachevé. « Chanson douce » paru faisait parler beaucoup de lui et il s’est donc retrouvé parmi mes lectures de l’an dernier bien après Petit Pays de Gaël Faye. J’ai repoussé sa lecture, car j’avais des lectures qui étaient prioritaires, mais il était en bonne place dans ma pile à lire.

L’idée de ce récit est née dans l’esprit de Leïla Slimani après avoir découvert un fait-divers similaire dans les journaux. La graine était plantée dans son imagination, restait à imaginer les personnages et leurs ambiguïtés. Pour cela, l’auteure est en partie allée chercher dans son expérience personnelle. Mais elle affirme au HuffPost Maghreb ne pas s’en être « inspiré pour la construction de ses personnages ». Les aspects complexes des personnalités, l’écrivaine est allée les puiser chez elle. Lorsqu’elle a commencé à se plonger dans ce roman, Leïla Slimani était elle-même à la recherche d’une nounou. Difficile alors de ne pas imaginer le pire après avoir découvert ce fait-divers macabre.

Leïla Slimani  est une journaliste et écrivaine franco-marocaine. Elle a notamment reçu le prix Goncourt 2016 pour son deuxième roman, Chanson douce.Après son baccalauréatLEÏLA SLIMANI.jpg obtenu au lycée français Descartes à Rabat en 1999, elle vient à Paris pour ses études en classes préparatoires littéraires au lycée Fénelon. Elle sort ensuite diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris. Elle s’essaie au métier de comédienne (en participant au Cours Florent) puis décide de compléter ses études à l’ESCP Europe pour se former aux médias. À cette occasion, elle rencontre Christophe Barbier, alors parrain de sa promotion, qui lui propose une formation à L’Express. Finalement, elle est engagée au magazine Jeune Afrique en 2008 et y traite des sujets touchant à l’Afrique du Nord. Elle démissionne de la rédaction de Jeune Afrique en 2012 pour se consacrer à l’écriture littéraire tout en restant pigiste pour le journal.

En 2014, elle publie son premier roman aux éditions Gallimard Dans le jardin de l’ogre. Le sujet (l’addiction sexuelle féminine) et l’écriture sont remarqués par la critique et l’ouvrage est sélectionné dans les cinq finalistes pour le prix de Flore2014.

Au second tour de l’élection présidentielle de 2017, elle apporte son soutien à Emmanuel Macron pour faire barrage «au déclinisme et à la haine» de Marine Le Pen.