SERIE D’ETE DE L’EXPRESS, Chaque semaine, une nouvelle ayant comme décor une région de France, c’est L’EXPRESS qui nous le fait vivre avec six auteurs différents. Pour cette semaine, Fréjus. – V. Meurtre à la Gabelle. – de Patrick Raynal – « Le racisme et la haine s’insinuent entre deux amis d’enfance. »

Fréjus

Le père de Mohamed et d’Ali travaillait à l’usine avec le père du narrateur (Robert identifié à la première personne dans notre récit), il ne souriait pas beaucoup, car il avait la devanture abimée, c’était en Tunisie, on lui avait cassé toutes ses dents. Puis on lui avait fait un dentier en ferraille lui donnant l’air de sortir d’un film de James Bond. Il était bien aimé par son collègue, il racontait comment la police tunisienne lui avait fait cette misère sans pouvoir lui en tirer un mot. En réponse, il avait bousillé la moitié d’une compagnie en s’évadant comme le père de Robert, qui lui s’était pris les CRS lors des grandes grèves des années 60 et on lui avait refilé un dentier qui devait servir à Mike Tyson. Ils étaient communistes tous les deux, sauf que le père Mohamed avait cessé de pratiquer de peur de se faire virer de son boulot. Il faut le comprendre car il ne fait pas bon d’être arabe à Fréjus et si en plus communiste. A la place, il fait le ramadan, ca se voit moins qu’un arabe qui fait la politique. Ma mère concluait en disant que ce sont des infidèles, oubliant qu’elle passait son temps à échanger des recettes avec Yasmina, la mère de Mohamed. Mon père, tout communiste qu’il est, a voté Front National. Tout a commencé avec la mort de Mohamed.
On était à la Gabelle, lieu des pauvres et propice pour faire des chiffres pour les flics. Il arrive que je regrette de n’avoir pas empêché MohamedLa gabelle d’aller les narguer avec sa moto pas encore immatriculée. Ils l’ont coursé, Mohamed a fini dans un arbre sans casque ce qui a entrainé une révolte dans la cité. C’est à ce moment qu’est apparu un chef qui deviendra le caïd de la cité du nom de « le P’tit juif ». Il était devenu le référent pour l’évolution des pauvres à la Gabelle. Je m’étais adressé à lui et il m’avait demandé d’aller faire ma demande à la police municipale de Fréjus. La vie était plutôt belle sauf pour les gens de la Gabelle. Le nouveau maire avait refusé la construction de la mosquée déjà votée par son prédécesseur et les arabes étaient obligés de prier dehors.
Après la mort de Mohamed, son frère, Ali était passé du chagrin à l’héros. Il mohamed frejusétait le dealer du quartier et mon petit frère était devenu accro. Jef avait échangé quelques mois de tôle contre deux ans d’armée en Afghanistan et avait une haine prononcée contre les dealers arabes. Et c’est comme ça que j’ai commencé à assister à des réunions qui résumait la situation, en une nécessité de maintenir la poubelle blanche sans les arabes, les blacks et les gitans. Un jour Michel m’a craché au visage en me traitant de « sale merde de facho » comme un non être, Michel, Ali et moi étaient des amis du collège, c’est lui qui avait eu l’idée d’aménager la cave pour fumer et répéter les morceaux de Rap. J’ai voulu le rattraper pour le corriger mais les copains m’ont retenu en arguant que les choses sont entrain de changer et il va se rendre compte. Pour moi, c’est vrai, les choses ont changé, j’habite en centre ville dans un bel appartement et je porte le casque et la matraque. Le maire a œuvré pour faire croire qu’il tenait la dragée haute aux arabes de Fréjus et j’avais adhéré à sa démarche. J’avais oublié Ali, jusqu’au jour ou Jef m’a fait remarquer à un bal du 14 juillet la présence d’Ali dansant avec une blonde. Jef m’a aussi dit qu’il fallait que j’aille lui me présenter la note pour mon défunt de frère. J’ai repensé à ce moment tragique dans la cave du bloc D, arguant auprès de Jef que Manu avait sa part de responsabilité. Je lui ai demandé qu’on quitte ce lieu pour ne pas stigmatiser qu’Ali.
Les choses ont continué d’évoluer et par la suite les gens de Gabelle ne voulaient plus nous voir quand la presse s’y rendait. J’étais monté en grade et la loi avait autorisé le port d’armes pour les policiers municipaux, un 9 mm semi automatique, les policiers avaient gardé les 357, c’est un flingue et le 357 magnum c’est du Clint Eastwood.
Un soir d’hiver, en sortant du stand de tir, j’attendais Jef et deux autres types qui devaient me rejoindre, j’ai vu Ali entrain de taguer un mur du stade avec des slogans à la con.
Tire toi d’ici Ali, j’ai gueulé.
Il a tourné la tête et n’a pas arrêté de badigeonner,
Ok Robert, jette ton flingue et on discute,. m’a-t-il répondu
Putain ce n’est pas de conneries…..Tire toi de là avant que………
Avant que quoi ? a dit Jef dans mon dos, en ajoutant tu voulais le tirer sans nous peut être.
Tu pourrais quand même lui dire d’arrêter de saloper ce mur, ricana Jef, c’est pour ca qu’on te paye non ?
Ali continuait de peindre avec sa bombe, ne faisant pas attention aux mises en garde de Jef et de Robert qui le met en état d’arrestation et Ali répondit.
Pour mon cul pauvre taré, il a fait en se retournant brusquement. T’as aucun droit même pas celui de porter ce flingue à la con….Tu peux juste pleurer dans ta radio pour appeler les vrais flics à ton secours.
Je me souviens avoir crié quelque chose en sortant mon 357. J’ai senti le recul, j’ai vu son crâne éclater.
Au tribunal l’avocat a argué la provocation et Jef est venu raconter l’histoire de mon frère et en prison on me considère comme un héros. Ali aussi est considéré comme un héros, un groupe de Rap a pris son nom et on parle de faire un film sur lui.
Je suis content pour lui et pour la Gabelle, c’est bien qu’on se souvienne un jour que c’était un quartier de Fréjus.

L’auteur
Patrick Raynal est un écrivain français de roman noir, il a été assureur, Patrick Raynalcritique littéraire ( Nice matin et le monde) et romancier. Il a fait partie de la gauche prolétarienne. Considéré comme un spécialiste de la littérature américaine, il collabore, de 1990 à 1995, au journal « Le Monde » (Le Monde des Livres) La même année, il obtient le Prix Mystère de la critique pour son roman Fenêtre sur femmes. En 1991 Antoine Gallimard lui confie la direction de la fameuse collection de polars « Série noire » qu’il dirigera jusqu’en 2004. En 1992 il crée la mythique collection « La Noire ». En 1995 dans le numéro de février de la revue « Esprit » (Page 77 à 96) il affirme que « Le roman noir est l’avenir du roman « . Depuis novembre 2004, il a rejoint les Éditions Fayard (Collection Fayard Noir) Il est également scénariste, et a participé, en 1998, à l’écriture du film Le Poulpe avec Jean Bernard Pouy et Guillaume Nicloux. Son ouvrage, « Lettre à ma grand-mère » (Flammarion) n’est pas un roman mais un récit autobiographique sur le parcours de sa grand-mère, déportée à Ravensbrück pour faits de résistance. Depuis 2010, il enseigne le « creative writing » à l’Institut des Sciences Politiques. Conseiller littéraire du Salon du Livre de Colmar, il invite une vingtaine d’écrivains sur l’espace « La Tasse de T de Patrick Raynal ». Il a écrit récemment avec Gérard Filoche Cérium paru aux éditions du cherche midi.