Tenez bon, Emmanuel – par Roger Talpaert 07/09/17 à 14:45 – Mise à jour à 14:44 Source: Le Vif

Mon âge (plus de deux fois le vôtre) suffit, j’espère, pour me faire pardonner ce ton familier à l’égard d’un chef d’État. Car c’est ainsi que s’exprime au mieux l’émoi de qui a vécu ‘4O-’45, avec ses prémisses, et voit resurgir en force les mêmes démons, moins d’un siècle plus tard. Pas uniquement dans votre beau pays, mais dans toute l’Europe et bien au-delà.

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Ce n’est pas pour les quelques années – au mieux – qu’il me reste à vivre que je me fais du souci. Mais pour les générations à venir, celles de nos enfants, petits-enfants et leur descendance qui se verraient précipitées – malencontreusement – dans des calamités pires que celles que nous avons vécues. Ignorant les leçons d’un passé auquel ils croient devoir s’accrocher. Mais d’une façon suicidaire, troquant devoir de mémoire sacré, contre nationalisme étroit, néfaste.

Dans l’immédiat après-guerre d’aucuns déjà se déclaraient « citoyen du monde ». Noble rêve. Moi-même, avec nombre de jeunes, allions manifester, à Strasbourg, pour les Etats Unis d’Europe : pas de salut en dehors d’une Union, au moins européenne, souveraine. Les temps n’étaient pas mûrs, manifestement. Ils ne le sont pas encore tout à fait, malgré de réels progrès. Ils risquent d’être bientôt pourris, si nous n’y prenons garde.

L’Union Européenne est née de la peur de l’ogre soviétique et de l’énorme désir de mieux vivre des populations européennes dévastées par le crash des années 30, la guerre et la décolonisation. Quelques grands politiques et une multitude de dirigeants moins connus, mais tout aussi dévoués ont su patauger infatigablement à travers une inextricable mangrove : intérêts souvent légitimes, mais divergents (à court terme), compromis honnêtes comme arguments mensongers, menaces et promesses (mal ou pas tenues), mouvements dits populaires ….. Pour déboucher, dans la tourmente et par à-coups, sur des solutions jamais parfaites, mais généralement salutaires, salvatrices même. S’est-on jamais demandé honnêtement ce qu’aurait été notre vie sans Union européenne ?

Alors que les dangers qui nous guettent ne sont sûrement pas moins graves qu’il y a 60 ans ! Le « gendarme du monde », qui nous a effectivement par deux fois sauvés de la barbarie, se livre à un « reality-show » à l’issue incertaine ; l’impérialisme des tsars est apparemment de retour, stimulé par le succès de quelques coups tordus ; la Chine impériale, tapie dans son coin, attend son heure et on ne sait trop de quoi elle rêve ; l’Afrique, espoir de l’humanité, est en plein dans ses douleurs d’enfantement. Et chaque semaine, ou presque, apporte son lot d’agissements néfastes, de-ci de-là.

Et l’Europe, pendant tant de siècles coeur et moteur de l’humanité, resterait morcelée, empêtrée dans de ridicules discussions de terroir, incapable de peser sur l’avenir du monde et même d’assurer le bien-être de ses populations malgré des trésors de talent et de ressources ? Faute d’une gouvernance européenne efficace portée par de solides structures démocratiques . Tout cela au nom d’une histoire (le plus souvent savamment triturée) qu’il faut certes cultiver, mais s’interdire de projeter inchangée dans le futur. Car « l’avenir n’est pas donné, c’est le temps des choses à faire » (Bertrand de Jouvenel).

Je ne détaille pas ici ce que je pense être nécessaire pour « booster » la locomotive européenne : parlement vraiment représentatif, président élu directement et gouvernement responsable devant ce parlement, ressources propres, etc. Mais une chose est certaine : l’hypothèque britannique étant levée (à regret, malgré tout), seule une impulsion commune de la France et de l’Allemagne mènera au salut, aussi difficile que cela puisse être.

Intégrer des situations, attentes et priorités souvent (à court terme) divergentes au profit d’un bien (j’allais dire d’une survie) qu’on peut avoir du mal à visualiser requiert un solide « statesmanship ». Vous-même et le probable leadership outre-Rhin n’en manquez pas, me semble-t-il . Ni d’ailleurs les dirigeants dans la plupart des états constituants de l’Union, même si certains ont actuellement des gros problèmes en interne et quelques-uns font tache.

Dans l’Hexagone ce n’est pas un long fleuve tranquille tous les jours non plus. Je ne m’autoriserai aucun commentaire sur le chemin que vous avez choisi pour les affaires de la France, sauf à dire que je le crois juste. Mais pour le bien de l’Europe – et j’ose même dire du monde – vous devez réussir !

Sondages, instruments techniques utiles, mais agités comme des chiffons rouges dans l’arène, scandales parfois inventés de toutes pièces ou honteusement grossis, matraquage médiatique démesuré, menace de désordres publics, déficit d’expérience dans les structures, ténacité des mythes gauche droite…j’en passe et des meilleurs. Rien ne devrait empêcher, dans votre robuste démocratie, une saine lutte, jusqu’aux extrêmes, pour que triomphe finalement la conquête d’un avenir meilleur – ou même d’un avenir tout court. Pour l’Europe entière. Conquête pacifique, cette fois.

Bonne chance, Monsieur le Président vous tiendrez bon, j’en suis sûr!

 

Politique étrangère : vers une « doctrine Macron » ? Par Michel Duclos le mercredi 30 août 2017 publié dans Europe / Monde

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Michel Duclos, est ancien Ambassadeur de France à Damas et auteur de la note Syrie : en finir avec une guerre sans fin, décrypte, pour l’Institut Montaigne, l’intervention du président de la République lors de la semaine des ambassadeurs. Il revient notamment sur les éléments qui pourraient indiquer qu’Emmanuel Macron souhaite mener une politique étrangère différente de celle de ses prédécesseurs.

Le président de la République s’est livré hier à l’exercice rituel de l’allocution devant les ambassadeurs français réunis annuellement à Paris, avant qu’ils ne rejoignent leurs postes respectifs.

Emmanuel Macron avait présenté jusqu’ici, trois facettes de son profil en matière de politique étrangère : d’abord le partisan de la globalisation et de l’Europe qui, pendant la campagne présidentielle, avait eu le courage d’aller à contre-courant du repli sur soi souverainiste ambiant dans le pays; ensuite le « gaullo-mitterrandien » affiché, se démarquant du « néo-conservatisme » supposé de ses deux prédécesseurs; enfin, l’homme d’Etat faisant ses premiers pas sur la scène internationale en recevant avec éclat – et un indéniable talent – Vladimir Poutine puis Donald Trump.

Pour un certain nombre d’observateurs, l’enjeu du « discours devant les ambassadeurs » était d’aller plus loin dans le contenu possible d’une politique étrangère « macronienne ». Autrement dit, au-delà des quelques prises de position ou initiatives des premiers mois de mandat, y aura-t-il une « doctrine Macron » sur les questions internationales et quelle sera-t-elle ?

Le discours du président n’a que partiellement répondu à cette interrogation. Et cela sans doute au moins dans une certaine mesure de manière volontaire : Emmanuel Macron a d’emblée écarté l’approche traditionnelle consistant pour le président de la République à présenter un décryptage de l’état du monde. Il s’en est expliqué en remarquant élégamment que son public était parfaitement informé du « cours du monde ». On ne trouvera dans le discours présidentiel par exemple aucune clef de lecture sur l’évolution de l’Amérique ou des relations du triangle Russie-Etats-Unis-Chine, ou encore du poids actuel des grands émergents, ni même d’ailleurs des ressorts profonds des crises dont le président a par ailleurs beaucoup parlé. Il a voulu aussi manifestement sortir du débat théorique sur les concepts associés à telle ou telle figure tutélaire de la Vème République. Il a renoncé dans ce discours à se démarquer de son ou de ses prédécesseur(s) immédiat(s). Le président a rendu hommage à certaines actions de la diplomatie de François Hollande – intervention au Mali, « amélioration » de l’accord avec l’Iran, COP 21 – pour mieux indiquer, en se situant dans une continuité de bon aloi, ce qu’il comptait faire lui-même.

Il a pris ainsi le risque, de toute façon inhérent à ce type de discours, d’énoncer une liste forcément hétéroclite d’initiatives, de projets, d’annonces en tous genres. Au fil du discours, on apprenait que le « changement de méthode sur la Syrie » allait permettre la première réunion d’un nouveau « groupe de contact » en septembre à New-York, que l’initiative sur la Libye (note : rencontre à la Celle Saint Cloud le 25 juillet des deux principaux protagonistes libyen, Fayez Sarraj et Khalifa Haftar) allait faire l’objet d’un suivi là aussi à New-York, qu’un envoyé spécial pour le Sahel serait nommé, un ambassadeur chargé des négociations sur les migrations désigné, un « Conseil présidentiel pour l’Afrique » mis en place, différentes conférences, là aussi dans la grande tradition française, seraient convoquées à Paris (sur le changement climatique, sur le financement du terrorisme, sur le Liban). Un « cycle de conférences internationales annuelles diplomatiques et juridiques consacrées à l’organisation de notre monde sera lancé, la première se tenant à Paris l’été prochain ».

Des engagements ont été pris ou réaffirmés sur la relance de l’effort de défense (2 %du PIB en 2025) ou le rehaussement de l’aide publique au développement (0, 55 % de notre revenu national d’ici à 2022) – ainsi que sur la « stabilisation du budget du Quai d’Orsay » (propos guère rassurant pour les diplomates qui ont vu un budget déjà étique sérieusement écrêté en 2017). S’agissant de l’Europe, au-delà de la défense et de l’illustration de l’action qu’il a déjà menée (« agenda de la protection » avec Angela Merkel, réforme de la directive sur les travailleurs détachés), le président a indiqué qu’il attendait les résultats des élections générales allemandes pour proposer de nouvelles initiatives, tournées vers des projets concrets plutôt que vers des changements institutionnels.

Il serait erroné pour autant de réduire le discours du président à une série d’annonces, encore une fois inévitables puisqu’il s’agit de délivrer une feuille de route aux ambassadeurs. Emmanuel Macron ne se situe jamais exactement là où on croit le trouver. Certains commentateurs ont cru voir la marque personnelle du nouveau président dans son pragmatisme, dans son volontarisme, ou dans son franc-parler, ce qui est oublier un peu vite qu’il n’est pas le premier président de la République à pratiquer ces vertus. S’il a écarté toute « vision globale », il a devant les ambassadeurs articulé son propos autour des axes d’action qui doivent guider notre diplomatie : la sécurité, « qui se conjugue avec la stabilité du monde » ; l’indépendance, « qui impose de revisiter les termes de la souveraineté, y compris européenne » ; le retour de notre influence, « qui va de pair avec la défense des biens communs universels ». Et les pistes d’action qu’il a évoquées s’insèrent souvent dans une série de concepts relativement élaborés, parfois originaux, parfois moins : le refus de choisir un camp dans la rivalité entre l’Arabie saoudite et l’Iran, l’approche des « trois D » (défense, développement, diplomatie) pour traiter des crises et notamment celles du Sahel, l’axe Europe-Maghreb-Afrique qui doit permettre l’ »arrimage » de l’Afrique à l’Europe, une articulation de plusieurs actions pour contenir l’immigration en provenance d’Afrique de l’Ouest, dans la lignée de la rencontre qui avait eu la veille même à l’Elysée sur le sujet dans un format inédit, l’Europe à géométrie variable, totalement assumée, la souveraineté à redéfinir en fonction des nouvelles contraintes technologiques et autres, ou encore la « diplomatie étudiante », pour mettre notre pays à la hauteur de nos grands rivaux dans la compétition internationale dans la formation supérieure des élites.

Sur un chapitre qu’il avait jusqu’à présent peu exploré – celui des « valeurs » – le président a manifestement tenu à combler une lacune dans son discours. Il a complété son approche de la Syrie en précisant que « la reconstitution un jour en Syrie d’un état de droit… devra s’accompagner de la justice pour les crimes commis, notamment par les dirigeants de ce pays ». Surtout, il a habilement repris le thème de la vocation de la France à défendre les droits de l’homme et le multilatéralisme en indiquant que l’identité même de notre diplomatie reposait sur la défense de « biens mondiaux » qui sont l’environnement (dont le nouveau « pacte mondial pour l’environnement » proposé par Laurent Fabius), la paix, la justice et les libertés, la culture. Sur les droits de l’homme proprement dits, le président a dit qu’ils « ne sont pas seulement des valeurs occidentales. Ce sont des principes universels, des normes juridiques librement adoptées par tous les pays du monde que nous devons sans cesse expliquer, défendre, améliorer ».

Tout cela fait-il une « nouvelle politique étrangère » ? Ne s’agissait-il pas hier d’un discours avant tout politique, dans lequel la lutte contre le terrorisme « islamiste » (M. Macron a souligné l’adjectif) et l’ »Europe protectrice » constituaient les prismes dominants ? Comment discerner dans les propos du président la veine novatrice et l’acceptation d’un certain héritage ? A chacun de juger, mais on l’a déjà dit : le nouveau chef de l’Etat se laisse difficilement enfermer dans des catégories préétablies. Il aime surprendre et garder la possibilité de surprendre. On retiendra de son discours aux ambassadeurs un engagement personnel manifeste dans les affaires internationales, ainsi qu’une volonté affirmée de défendre par tous les moyens la voix et le rang de la France. Retour en ce sens à un certain classicisme, sous des couleurs plus modernes ? En exorde, presque en passant, Emmanuel Macron a observé que « le monde a les yeux rivés sur la France. La transformation que nous avons engagée est une condition centrale de la transformation de l’Europe, tournée vers l’avenir et vers les peuples. Et la transformation de l’Europe autour d’une vision partagée est la condition d’un nouvel ordre mondial plus stable, apaisant les rivalités des puissances ». Il y a certainement là le point de départ possible d’un « grand dessein », susceptible de recréer autour d’une politique extérieure forte, un consensus et un élan qui lui ont fait défaut au cours des dernières années.